Les inégalités économiques et de genre sont étroitement liées, a révélé Oxfam dans son rapport Celles qui comptent, publié en janvier dernier. Prendre soin des enfants et des aînés et le travail ménager sont, par exemple, des tâches qui incombent principalement aux femmes et qui les placent en situation d’oppression. C’est un constat qui s’applique même au Québec.
C’est à la veille du forum économique de Davos que l’organisme non gouvernemental (ONG) Oxfam a émis un cri d’alerte : les inégalités économiques « sont hors de contrôle ». Les différences inéquitables entre les riches et les pauvres s’expliquent principalement par un système économique sexiste, selon l’ONG. Celui-ci valorise le capital monétaire des privilégiés, en rejetant le travail de soins et les tâches domestiques essentielles, assumées principalement par les femmes à travers le monde.
Selon la directrice des politiques et des campagnes chez Oxfam-Québec, Anne Duhamel, « les 22 hommes les plus fortunés au monde possèdent plus d’argent que l’entièreté des femmes vivant sur le continent africain ».
Ce ne sont pas que les individus qui profitent du travail invisible. Le système économique en soi dépend de ces efforts collectifs en manque de considération. « Sans le travail de soin non rémunéré, qui repose principalement sur les femmes, l’économie mondiale s’effondrerait », indique Mme Duhamel.
Qu’est-ce que le travail invisible ?
Selon la doctorante en histoire de l’UQAM Camille Robert, le travail invisible « est l’ensemble du travail nécessaire pour [assurer] la reproduction de la société. » Il serait intrinsèquement lié au rapport de soins envers les autres, comme faire la cuisine, se consacrer aux enfants et au ménage de la maison.
Le travail invisible renvoie habituellement aux tâches domestiques, mais s’applique tout autant au marché du travail. « Il y a une extension entre ce que les femmes font à la maison et ce qui se poursuit dans le milieu salarié, déplore Mme Robert C’est une extension du rôle dit ‘’biologique’’ de la mère, qui se reflète dans les attentes envers le travail . »
Ce même bilan est appuyé par Anne Duhamel d’Oxfam-Québec, qui observe que le travail de soins rémunéré, comme l’aide aux proches aidants, le service de garde, ou l’éducation, reproduit les tendances du travail invisible.
« Ce sont largement des professions exercées par des femmes, dans des secteurs qui sont en manque d’aides financières et où les conditions de travail sont très difficiles », remarque-t-elle.
Au niveau économique, le travail invisible, « c’est toute occupation qui n’est pas comptabilisée dans le PIB national servant à l’enrichissement du pays », explique la cocoordonnatrice de L’R des centres de femmes, le plus grand regroupement féministe de centres d’action communautaire autonome au Québec, Katia Pharand Dinardo.
Il représente un effort qui est perçu comme ne rapportant aucun capital financier direct, et donc négligeable dans le milieu de l’emploi, tant à l’international que dans la Belle Province.
Même constat chez nous ?
Au Québec, la situation s’apparente fortement aux inégalités dénoncées dans le rapport d’Oxfam. Selon une étude de L’R des centres des femmes, le travail invisible accompli par celles de 18 ans et plus dans la province se compile à plus de 26 heures par semaine, représentant 400 dollars en temps non rémunéré.
Anne Duhamel signale que ces inégalités s’appliquent tout autant à l’accès à l’emploi. « Le taux d’emploi des femmes de 15 ans et plus est de 57 %, tandis que pour les hommes, c’est de 64 %, révèle-t-elle. Elles sont tout autant éduquées, mais gagnent en moyenne 211 $ de moins par semaine que les hommes. »
Elle précise aussi que l’écart salarial entre les hommes et les femmes est toujours présent au Québec, tout comme les défis touchant les politiques familiales et les congés parentaux. « Il y a encore place à l’amélioration, mais nous sommes sur la bonne voie », croit la représentante d’Oxfam.
En observant le manque de congés parentaux, de garderies publiques et de soins de santé payés aux États-Unis, Camille Robert retrouve espoir. « Quand on se compare, on se console. »
Où il y a des solutions, il y a de l’espoir
Afin de pallier les inégalités économiques et de genre basées sur le travail non rémunéré des femmes, le rapport d’Oxfam propose la reconnaissance du travail invisible comme un travail de production. Le document recommande également la redistribution des tâches domestiques entre les hommes et les femmes et l’amélioration des infrastructures et des technologies nécessaires pour réduire le travail ménager.
Selon la cocoordonnatrice de L’R, Katia Pharand Dinardo, il faut s’attaquer à la socialisation genrée pour changer les habitudes de division de tâches. « Si l’on apprend aux petites filles à passer le balai et aux garçons à jouer à l’épée, on n’y arrivera pas. »
Le capitalisme est aussi dans la mire du rapport. Le travail invisible asservissant les femmes, au service de ce système, ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Il faut alors reconnaître l’occupation des tâches domestiques et ménagères en matière de salaire, selon Camille Robert. « Les revendications et les exigences d’un salaire pour le travail ménager permettent au moins la négociation des conditions de travail. »
Les oppressions capitalistes et sexistes s’alimentent l’une et l’autre, et il est temps que ça cesse, signale Mme Pharand Dinardo. « Tant que le capitalisme va exister, les femmes serviront les hommes. »
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