Forte d’une carrière en sexologie, Annie Caron s’est jointe l’an dernier à la petite équipe du Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement (BIPH) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), un service malmené depuis sa création en 2005.
Annie Caron juge essentiel de garder les portes ouvertes et de favoriser le dialogue pour améliorer la prévention du harcèlement et des violences à caractère sexuel. « Plus on échange et on parle, plus les gens vont être en mesure de juger si leurs actions commises ou vécues se situent dans ce qui est normal ou inacceptable, affirme l’intervenante. C’est avec la discussion que les gens seront plus vigilants. »
Mme Caron n’a pas atterri au Bureau par hasard. Avant son arrivée au BIPH en avril 2018, elle a autant fait de la prévention avec des avocats et des avocates qu’avec des victimes et des personnes aux prises avec des problèmes de délinquance sexuelle.
Elle estime que certains traits de sa personnalité ont facilité son cheminement dans le milieu. « J’ai toujours été très interpellée par ce que vivaient les gens. Depuis toujours, on se confie à moi », raconte Mme Caron.
« C’est un parfait mélange de cœur et de compétence. Elle est déterminée à aider tous les gens qui se présentent au bureau et à faire évoluer les situations des gens qui nous consultent pour le mieux », explique la directrice du BIPH, Maude Rousseau.
Durant son baccalauréat en sexologie à l’UQAM, un cours sur les déviances et les violences sexuelles a piqué sa curiosité. « Ça m’intéressait de tenter de comprendre certains comportements et de voir pourquoi certaines personnes en arrivent là », explique-t-elle.
Mme Caron a ensuite complété une maîtrise en criminologie. Puis, elle a de nouveau étudié en sexologie, s’intéressant davantage à l’intervention qu’à la recherche.
Une expérience déterminante
Annie Caron a travaillé pendant huit ans auprès de délinquants et de délinquantes sexuel(le)s au Centre d’intervention en délinquance sexuelle (CIDS), une expérience déterminante dans son rôle d’intervenante. « J’ai eu besoin d’aller assez loin dans la compréhension des violences du point de vue des gens qui les commettent pour me sentir prête à intervenir auprès des victimes, reconnaît-elle. La charge émotionnelle qu’elles portent n’est pas la même. »
Lors de son passage en milieu judiciaire criminel à Côté Cour, un service venant en aide aux gens subissant de la violence conjugale et familiale, Mme Caron dit avoir remarqué le manque d’éducation chez les jeunes en matière de relations amoureuses et affectives. « Je les écoutais me parler de ce qu’ils vivaient dans leurs relations avec une grande banalisation des violences psychologiques, verbales et physiques. Pour eux, ça semblait normal », se rappelle-t-elle.
Ce constat l’a sensibilisée à l’importance de la prévention auprès des jeunes et l’a incitée à s’impliquer au sein de l’Association des sexologues du Québec, où elle est responsable d’un comité qui a pour objectif de veiller à une éducation à la sexualité complète dans les écoles primaires et secondaires.
Criblé de critiques
Dans les dernières années, le BIPH a connu des moments difficiles. En octobre 2018, une campagne de fausses publicités déployée dans certains quartiers de Montréal s’y est attaqué. Sur les affiches, on pouvait lire : « Le Bureau de prévention en harcèlement. Là où on vous dira qu’on ne peut rien pour vous » ou encore « Sortir en pleurs du Bureau de prévention de harcèlement. C’est aussi ça l’effet UQAM ». Les responsables de l’initiative, au pseudonyme « pourquoijaipasdénoncé », s’étaient fortement inspiré(e)s des publicités de la campagne institutionnelle de financement de l’UQAM « 100 millions d’idées ».
Mme Caron se rappelle la surprise ressentie à la suite de cette critique. « C’était un choc de voir ça, alors que je vois des gens satisfaits sortir de mon bureau », explique-t-elle.
L’intervenante croit que ce genre d’acte de revendication nuit aux victimes, car celles-ci seraient plus réticentes à chercher de l’aide lorsque l’image du service est salie de la sorte. « Ça diffuse le message que si tu vis quelque chose de difficile, tu ne devrais surtout pas aller te confier au BIPH », croit-elle.
« Ce n’est pas parce que des bureaux tels que le BIPH existent qu’ils sont garants de bons services », soutient pour sa part la déléguée étudiante au conseil d’administration de l’UQAM Stéphanie Thibodeau.
L’étudiante à la maîtrise en éducation reproche au BIPH d’offrir des services variant « en fonction du statut de la personne plaignante ». « Les exigences administratives et procédurales ont préséance sur la sécurité et la justice », soutient-elle.
Mme Caron fait valoir que certains reproches faits au Bureau découlent d’attentes trop élevées quant au pouvoir d’intervention de ce dernier. « Les gens entrent parfois dans le bureau en demandant de renvoyer un étudiant de l’UQAM. C’est le genre de chose que le BIPH ne peut pas faire, souligne-t-elle. Toutefois, on peut toujours trouver des solutions alternatives pour venir en aide aux victimes. »
Maude Rousseau soutient que les critiques sont prises au sérieux. « On prend le temps de les écouter et on se remet en question pour faire ce qu’on peut faire de mieux. Au quotidien, on s’affaire à pouvoir aider les personnes qui viennent nous voir et nous allons continuer de travailler dans cette optique », souligne-t-elle.
La prévention d’abord
Au BIPH, Mme Caron veille à la résolution de situations de harcèlement et au soutien des victimes. « Cela rejoignait mon désir de faire avancer les choses en matière de violences à caractère sexuel », explique-t-elle.
Depuis 2018, elle consacre également son temps à la prévention en offrant des formations auprès des associations étudiantes de l’UQAM. Ces ateliers sont maintenant obligatoires pour tous les groupes étudiants qui désirent obtenir une subvention des Services à la vie étudiante.
L’Association générale étudiante du 1er cycle en psychologie de l’UQAM (AGEPSY-1) a été la première association à former l’ensemble des membres de son conseil exécutif en matière de harcèlement et de violences à caractère sexuel.
« Mme Caron réussissait à utiliser les bons mots pour que personne ne soit offensé en discutant de sujets aussi tabous, explique le secrétaire à la coordination de l’AGEPSY-1, Charles-Étienne White. On sent vraiment qu’elle a de l’expérience dans ce qu’elle fait et que les sujets qu’elle aborde lui tiennent à coeur. »
L’intervenante du BIPH est allée au-delà de son mandat d’origine. « On avait déjà de bonnes connaissances dans le domaine, explique-t-il. Après la formation, Mme Caron nous a proposé une formation plus poussée pour s’assurer qu’on apprend quelque chose. »
Une version précédente de ce texte indiquait qu’Annie Caron avait abandonné sa maîtrise en criminologie, ce qui n’est pas le cas. Nos excuses.
photo : FÉLIX LEBEL MONTRÉAL CAMPUS
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