Louise Desmarais est une militante de longue date pour le droit à l’avortement, des années 1960 en passant par sa décriminalisation, en 1988. Présidente de la Fédération du Québec pour le planning des naissances, Nesrine Bessaïh s’implique dans des regroupements féministes depuis une quinzaine d’années. En faisant le pont entre deux générations, elles font part des défis affrontés hier et aujourd’hui dans les luttes féministes au Québec, en marge de l’exposition InterReconnaissance — Une mémoire citoyenne se raconte, présentée à l’Écomusée du fier monde.
Montréal Campus : Nous assistons aujourd’hui à une fragmentation des luttes féministes, où cohabitent différentes positions sur de mêmes enjeux. Dans ce contexte, comment est-il possible de créer des liens de solidarité ?
Nesrine Bessaïh : Il est nécessaire d’aller chercher de l’information pour approfondir sa réflexion. Je pense qu’il y a des sujets où on ne pourra trouver une position commune, comme pour la prostitution et le travail du sexe. Par contre, nous devons collectivement nous pencher sur les inquiétudes des travailleuses du sexe quant à leur sécurité. Au bout du compte, il y a d’autres aspects de la réflexion qui sont de l’ordre de la morale et de l’éthique personnelle. Or, comme féministes, on se doit d’être solidaires avec d’autres féministes.
Louise Desmarais : Ce qui peut être difficile, c’est de trouver là où il peut y avoir une jonction. Par exemple, on est contre la violence faite aux femmes. Que tu penches du côté du travail du sexe ou de la prostitution, la violence est inacceptable. Le défi, c’est de se concentrer sur ce sur quoi nous sommes d’accord.
MC : Dans le débat sur l’avortement dans les années 1960 et 1970, y avait-il des points sur lesquels les féministes divergeaient ?
LD : Certaines femmes auraient aimé mettre une limite au stade de grossesse avant d’avoir recours à l’avortement. Au départ, les femmes ont toujours affirmé qu’elles avaient le droit de prendre leur décision jusqu’à la dernière minute. Il y a aussi eu des désaccords sur les raisons pour lesquelles les femmes pouvaient avoir recours à l’avortement. Certaines féministes étaient même contre, mais se sont ralliées en solidarité, en se disant qu’elles ne décideraient pas pour les autres.
MC : Aujourd’hui, le droit à l’avortement est-il menacé ? Les acquis des luttes antérieures sont-ils encore solides ?
NB : Il y a une recrudescence des centres anti-choix au Québec, qui étaient beaucoup moins présents il y a 10 ou 15 ans. Ces derniers se présentent comme s’ils allaient soutenir la femme enceinte à prendre une décision pour la suite de sa grossesse. Mais, pour eux, il n’y a qu’une décision possible : poursuivre la grossesse. Ils vont carrément mentir sur les conséquences pour la santé de l’avortement. Les lobbys sur les collines parlementaires sont également à surveiller. Actuellement, sur la scène fédérale, il faut dire que le Parti libéral est moins menaçant que ne l’était le Parti conservateur, qui a émis plusieurs projets de loi visant à reconnaître le fœtus comme un être humain indépendant et qui aurait des droits.
LD : La Cour suprême a rendu des décisions protégeant les femmes enceintes. Je me rappelle de l’histoire d’un enfant handicapé qui a poursuivi sa mère parce qu’il est né ainsi. La Cour suprême ne lui a pas donné raison. Sinon, le fait d’être enceinte serait devenu un facteur de discrimination. Les hommes ne seront jamais contrôlés d’une telle manière dans leur vie.
MC : Est-ce plus difficile d’apporter des changements profonds dans la société de nos jours que dans les années 1960 et 1970 ?
LD : C’est aussi difficile. Ce qui nous a beaucoup aidées, dans les années 60 et 70, c’était que nous étions une génération massive. Nous étions dans un contexte où tout était remis en question dans la société. Il était accepté d’être marxiste ou anti-capitaliste, par exemple. Aujourd’hui, c’est très difficile de remettre en question le néo-libéralisme. À l’époque, on était soutenu par une explosion du mouvement des femmes. C’était peut-être plus difficile de parler de l’avortement et d’aller contre la religion, mais, en matière de force de frappe, la question se pose.
NB : Ce que je peux dire du militantisme des années 70, c’est qu’il y avait des buts spécifiques à atteindre, et que les revendications étaient très fortes. Aujourd’hui, on va essayer à même nos façons de lutter de mettre en pratique nos idéaux. Ce n’est pas une fois que la révolution sera faite qu’on va mettre en place ces idées. On essaie de les installer maintenant, comme on le voit dans la lutte pour l’égalité sur le marché du travail.
MC : Plus d’un an après le début du mouvement #MoiAussi, qu’est-ce qui a changé dans notre réflexion collective face aux violences à caractère sexuel ? Que reste-t-il à changer ?
NB : Ce qui a changé, c’est que la honte a changé de côté. On sait maintenant que c’est aux agresseurs d’avoir honte. Sur le plan de l’éducation à la sexualité, on se doit de faire comprendre la notion de consentement enthousiaste. Dans les années 70, on disait que « non, c’est non ». Maintenant, on dit « sans oui, c’est non ». Il faut encourager des relations sexuelles non seulement consentantes, mais aussi enthousiastes. Il s’agit d’un concept qu’on a hérité de #MoiAussi et qui va se diffuser si on arrive à donner des cours d’éducation à la sexualité qui ont du bon sens.
photo: FÉLIX LEBEL MONTRÉAL CAMPUS
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