« Injustes », « biaisées », « stigmatisantes » : les évaluations des enseignements n’ont pas la cote dans le milieu universitaire. Plusieurs membres du corps professoral de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) remettent en question la valeur de ces rétroactions, alors que des études ont relevé de nombreux biais discriminatoires envers les femmes et les personnes racisées.
« À peu près toutes les conclusions [de ces études] indiquent qu’il existe de sérieux biais envers les groupes marginalisés et les femmes, indique la directrice des communications de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), Valérie Dufour. Si un enseignant fait partie de l’un de ces groupes, il va être systématiquement moins bien évalué par les étudiants. »
En octobre dernier, l’arbitre William Kaplan a jugé que l’Université Ryerson, en Ontario, devait modifier sa convention collective de manière à ce que les résultats des évaluations ne soient plus pris en compte dans l’octroi d’une permanence ou d’une promotion.
« L’exécutif trouve que la décision du juge Kaplan est une décision informée, car beaucoup d’éléments collent de très près à la vie universitaire », témoigne le président du Syndicat des professeurs et professeures de l’UQAM (SPUQ), Michel Lacroix. « Cela rejoint plusieurs préoccupations des professeurs de l’UQAM. On en a même fait l’objet d’une résolution en conseil syndical », précise-t-il.
La résolution invite la Commission des études à examiner à nouveau la manière d’évaluer l’enseignement à l’UQAM ainsi que la façon d’utiliser les données recueillies.
Le président du SPUQ rappelle qu’il revient aux membres de la Commission des études de juger de la pertinence de réexaminer la Politique no 23. « Ce n’est pas parce que le corps professoral le demande que ça va passer », spécifie-t-il.
« Il faudrait réfléchir, à la lumière de ce jugement, à la manière d’améliorer les pratiques ici, surtout en ce qui a trait aux biais systématiques des facteurs d’âge, de sexe, de genre ou de minorités ethniques », explique M. Lacroix.
Une discrimination présente
L’université est un milieu social qui n’échappe pas à la discrimination systémique, estime le professeur au Département de sociologie de l’UQAM et directeur du Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC), Sid Ahmed Soussi.
« Plus vous allez dans les catégories sociales où l’éducation est importante, moins ces formes de discrimination se manifestent. À l’université, ces comportements sont moins récurrents, mais ça ne veut pas dire qu’ils n’existent pas », poursuit-il.
À l’UQAM, des membres du corps professoral n’échappent pas à cette réalité. « J’ai noté que certaines femmes provenant des communautés ethniques pouvaient avoir plus de problèmes dans leurs évaluations », affirme la présidente du Syndicat des chargées et chargés de cours de l’UQAM (SCCUQ), Marie Blais.
Pour le président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), Jean-Marie Lafortune, les biais de la part des effectifs étudiants reflètent « ce qui se passe dans la société en général ».
Lourdes conséquences
Les résultats des évaluations peuvent avoir un impact considérable sur la carrière d’un chargé ou d’une chargée de cours, alors que la possibilité d’obtenir un contrat supplémentaire est souvent en jeu, mentionne Mme Blais.
« Je ne pense pas que les étudiants soient conscients de l’impact [de l’évaluation] sur la carrière de l’enseignant. […] J’ai vu des chargés de cours démoralisés, choqués, blessés par certains commentaires se retrouvant dans leurs évaluations », explique la présidente du SCCUQ.
« Ce sont des commentaires qui peuvent porter sur leur apparence, leur habillement. Dans ces cas-là, ça s’applique plus souvent aux femmes », rapporte Mme Blais.
En tant que professeur au Département de communication sociale et publique de l’UQAM, Jean-Marie Lafortune se dit soucieux d’obtenir une rétroaction de ses cours de la part de ses étudiants et étudiantes, mais il avoue que l’exercice tend à virer aux attaques personnelles.
« Je sais qu’il y a eu des départements à l’UQAM où il y avait un comité qui était chargé de lire les commentaires, pour éventuellement caviarder tous ceux qui étaient de l’ordre de l’attaque à la personne, pour éviter que ceux qui les lisent vivent une crise existentielle », raconte-t-il.
Changement de cap
L’ACPPU abonde dans le même sens que l’arbitre Kaplan. « Nous espérons que la décision va avoir un effet domino, explique Valérie Dufour. Nous pouvons être sûrs que dans les prochaines négociations de conventions collectives, les associations académiques vont utiliser cette décision pour faire entendre raison aux directions. »
Pour Jean-Marie Lafortune, de la FQPPU, les administrations font preuve d’un certain entêtement à vouloir considérer les résultats des évaluations dans les demandes de promotion, alors qu’il ne s’agit pas d’un élément aussi fiable que les publications d’un enseignant ou d’une enseignante, par exemple.
« On ne peut pas facilement régler un problème social, mais [on peut] au moins faire en sorte que ça n’affecte pas trop les enseignants et [qu’on balise] le processus pour que ce ne soit pas une occasion de faire circuler cela entre les membres de la communauté universitaire », estime Michel Lacroix.
De son côté, l’UQAM n’a pas dévoilé ses intentions quant à l’avenir du processus d’évaluation des enseignements. « L’UQAM a pris acte de la décision de l’Université Ryerson en ce qui concerne l’évaluation des enseignements et en examine les tenants et aboutissants », rapporte la directrice des relations de presse de l’UQAM, Jenny Desrochers.
photo: LUDOVIC THÉBERGE MONTRÉAL CAMPUS
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