Dénoncer haut et fort les injustices environnementales, sans toutefois choquer. Se servir de la technologie, sans nuire aux écosystèmes. L’art écologique, moins militant et plus accessible, fait peau neuve pour raviver l’intérêt du public.
En 2015, une antenne placée au sommet du pavillon Président-Kennedy de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) captait le vent, les ondes radio et les ondes sonores. Elle transmettait ensuite la fréquence à un logiciel qui projetait sur la façade du bâtiment la représentation du bruit et des ondes du Quartier des spectacles. Il en résultait un hypnotique grésillement de couleurs sur la devanture du pavillon.
IRRADIER.IRRADIATE a été créée pour « mettre les gens en contact avec une réalité qu’on connaît mal, celle de la pollution électromagnétique », explique Gisèle Trudel, l’artiste derrière l’œuvre et professeure à l’école des arts visuels et médiatiques de l’UQAM.
L’an dernier, le professeur en histoire de l’art à l’UQAM Alexandre Castonguay a créé, grâce à un logiciel de modélisation, des assiettes de porcelaine dont le design représente la courbe des changements climatiques de 1850 à nos jours. « Chaque section de l’assiette représente dix ans. Tu peux la donner à ton mononcle climatosceptique pour le convaincre ! », lance à la blague le professeur, en manipulant l’assiette vertigineusement oblique.
« L’écologie dans l’art n’implique pas toujours la nature, mais une écologie dans la pratique », explique Gisèle Trudel, qui n’utilise pas d’organismes biologiques ou d’éléments naturels dans ses œuvres. Bien qu’elles se veuillent écologiques, elles ne sont pas pour autant zéro déchet. « L’écologie n’est pas toujours dans le projet, mais dans la pensée », assure M. Castonguay, qui tente néanmoins de réduire l’empreinte écologique de sa pratique.
Militantisme créatif
Avec ses œuvres, Alexandre Castonguay cherche à « créer des expériences pour s’assurer que les gens comprennent d’une manière plus tangible » l’impact des changements climatiques.
« Il y a de la place pour l’action directe, mais on ne peut pas rester à ce niveau-là tout le temps. Il faut trouver d’autres manières de parler au monde », affirme M. Castonguay. Afin d’agir différemment, il a créé des dispositifs décoratifs pour capter le niveau de pollution dans l’air, un projet interactif et citoyen qu’il est en train de peaufiner.
Avec ces petites bulles d’argile qu’il a installées aux quatre coins de Montréal, et même à Mexico et à Medellin, en Colombie, Alexandre Castonguay peut surveiller la concentration de différentes substances polluantes en particules par millions (PPM) dans l’air de ces villes, puis les comparer avec des données recueillies ailleurs dans le monde, à même un site Web, cociclo.io.
« À Mexico, c’est trois fois le nombre de PPM que dans Hochelaga, c’est bien plus pollué là-bas », s’exclame le professeur d’histoire de l’art en pointant son écran.
Changement de paradigme
La doctorante en esthétique et sciences de l’art à l’Université de Montréal Bénédicte Ramade voit dans les projets de ces deux artistes la preuve « que l’art écologique n’est pas un mouvement circonscrit en soi ». « Pour les artistes, l’écologie peut être le sujet d’une œuvre, son processus ou simplement le moteur de leurs actions », explique-t-elle.
« On cherche à faire de “l’activisme tranquille”. Au lieu de faire des œuvres qui dénoncent dans les musées, on s’invite plutôt chez les gens », croit Alexandre Castonguay.
Une attitude qui n’a rien à voir avec ce que réalisaient les artistes écologiques du début des années 1960, à l’aube du mouvement, selon Bénédicte Ramade. « À l’époque, il y avait beaucoup de sculptures. Les artistes avaient une approche plus scientifique, moins politique », raconte Mme Ramade, pour qui le mouvement est rapidement devenu trop dénonciateur.
Avec des photos d’espèces en voie de disparition en résulte un art « qui est culpabilisant et qui reste en surface », selon Mme Ramade. Elle considère que la simple image crée une distance entre la cause écologique et le public. « Les artistes doivent inventer un rapport imaginaire à l’écologie qui soit plus inspirant », convient Bénédicte Ramade.
Photo : SARAH XENOS MONTREAL CAMPUS
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