Il est 17h et la pénombre s’étend sur la rue Roy. Au loin, un bâtiment à la façade violette détonne dans l’urbanité monochrome. Il s’agit de l’Usine 106u, une galerie d’art hors-norme qui s’efforce de présenter le travail d’artistes marginaux fuyant les diktats de l’industrie.
Au cœur de ce monde éclaté se trouve Éric Braün, le galeriste de l’Usine. « La seule chose que nous partageons avec les galeries conventionnelles, c’est le fait de montrer de l’art », explique-t-il.
Avec la création de l’Usine 106u en 2006, cet artiste multidisciplinaire s’attaque à la rigidité du milieu artistique québécois en sortant de l’ombre des œuvres expérimentales qui marient l’esthétisme à l’inconfort.
C’est entouré d’une série d’œuvres hétéroclites qu’Éric Braün s’amuse à remodeler le réel. Que ce soit à travers les peintures explosives de Daniel Erban, les personnages délicats inventés par René Bellefeuille ou les étranges poupées fabriquées par Samantha Gold, l’Usine 106u dynamite les frontières en faisant cohabiter plusieurs univers diamétralement opposés.
Grâce à la mise sur pied d’un modèle d’autogestion, qui consiste à louer aux artistes l’espace qu’ils occupent sur les murs de la galerie, l’Usine 106u devient un laboratoire pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans le monde de l’art traditionnel.
En échange de cinquante dollars par mois, les esprits les plus novateurs profitent de la vitrine que leur offre l’Usine. Contrairement aux autres galeries locatives qui demandent des frais s’élevant à des milliers de dollars, l’univers d’Éric Braün offre un espace rassembleur à très faible coût.
Pour M. Braün, les arts visuels sont corrompus par l’appât du gain. Plusieurs lieux d’exposition donnent une visibilité exclusive aux œuvres qui répondent à une certaine demande du public. Ces lieux viennent ainsi freiner l’envol de plusieurs carrières d’artistes émergents qui tentent de trouver leur place dans ce monde hostile.
Un milieu contraignant
Simon Sansfaçon, qui a déjà exposé ses œuvres à l’Usine 106u, a dû subir les contraintes excessives imposées par l’industrie lors de son passage dans une galerie conventionnelle. « On m’a critiqué par rapport aux cadrages de mes œuvres et sur la façon dont j’occupais l’espace sur mes toiles, se souvient l’étudiant de l’UQAM. En tant qu’artiste, ces remarques me paraissent inadmissibles. Personne ne peut m’expliquer comment créer. »
Il n’est pas rare de voir des artistes témoigner des lourdes attentes qu’a le milieu de l’art vis-à-vis leur travail. Pour survivre, plusieurs d’entre eux choisissent l’exil.
Jean Martin, surnommé Raven, est un créateur chevronné qui, en 35 ans de carrière, s’est fait un nom dans le milieu des arts visuels. Devant les embûches qui ont entravé sa route dans le Québec des années 1980, ce dernier a amorcé une carrière aux États-Unis, où il a pu professionnaliser sa démarche. « On a un tout petit marché, au Québec », avoue-t-il.
Selon M. Martin, le Québec vit encore sous les étoiles de Jean-Paul Riopelle et de Paul-Émile Borduas. L’héritage de l’art abstrait écrase l’émergence de nouveaux talents. « Heureusement, la galerie d’Éric vient briser cette tendance », souligne l’artiste, le sourire aux lèvres. Jean Martin a eu un coup de foudre pour l’Usine 106u, ce qui l’amène à y exposer régulièrement son travail.
« Je pense qu’on a clairement défoncé une porte, se félicite M. Braün. La galerie a servi de tremplin à de nombreux artistes qui exposent un peu partout à Montréal et à l’international. » Grâce à la brèche ouverte par l’Usine, plusieurs galeries ont commencé à exposer des œuvres qui font sortir le public de sa zone de confort. À Montréal, le magasin de musique BBAM! a plongé dans cet univers déjanté en exposant les oeuvres de plusieurs artistes émergents.
À l’extérieur de l’Usine 106u, le vent glacial de l’hiver fouette le visage des passants. Certains privilégiés auront néanmoins l’âme réchauffée par l’art nouveau offert à la galerie d’Éric Braün, là où le beau est parfois bizarre.
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photos : MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS
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