Après avoir fêté les 35 ans du Quartier gai, les jeunes de la communauté LGBTQ+ entretiennent une relation ambiguë avec celui-ci. Pour certains, le Village gai de Montréal reste encore trop commercial, alors que pour d’autres, il devient peu à peu accessible à tous.
Depuis plusieurs années, le Village est boudé par certaines personnes qui apprécient peu son côté touristique et trop homonormatif. C’était notamment le cas de Sandrine Bourget Lapointe, l’une des six propriétaires de la librairie féministe L’Euguélionne, située sur la rue Beaudry. Or, l’ouverture de son commerce en 2016 lui a fait voir un nouveau visage de ce quartier emblématique. « Il y a beaucoup de jeunes propriétaires au Village. On sent un vent de renouveau, lance-t-elle. Ouvrir la librairie m’a permis de redécouvrir le Village comme un lieu familial et communautaire. »
L’ancienne militante est d’avis que le Quartier gai n’était plus la place pour tenir des réflexions féministes et s’engager politiquement. « Je ne fréquentais plus le Village pendant des années parce que je pensais qu’il n’y avait plus d’espace pour les personnes «queers» et pour les personnes lesbiennes », explique Sandrine Bourget Lapointe, qui admet s’être trompée sur le compte du Village.
La copropriétaire de la librairie féministe et LGBTQ+ se réjouit des initiatives d’inclusion qui ont été réalisées dans le Village par de nouvelles générations, notamment dans le cadre du festival Fierté Montréal. « Beaucoup de jeunes […] s’impliquent. Il y a eu des rencontres pour les personnes spécifiquement «queers» et de couleur pour que Fierté Montréal soit plus inclusive, explique-t-elle. Ça m’a beaucoup impressionnée. J’avais toujours eu une mauvaise opinion de Fierté Montréal, parce que selon moi c’était beaucoup trop homonormatif, trop blanc ou trop orienté vers les hommes. »
Un commerce plus inclusif
D’autres essaient plutôt de rendre les bars et les commerces plus accessibles, comme le Bar Renard, ouvert depuis six mois à peine. Son engagement pour l’inclusivité démarque cet établissement de ses compétiteurs. « On veut qu’il y ait le moins de discrimination possible, qu’elle soit sexuelle ou envers les personnes à mobilité réduite », explique son copropriétaire, Marc-Antoine Coulombe.
Le jeune homme de 29 ans affirme répondre à une plus grande demande d’ouverture d’esprit au sein du Village grâce à son nouveau restaurant. D’ailleurs, les toilettes du Renard sont mixtes, avec des portes plus hautes pour accroître la sécurité. « Des gens venaient me voir et me disaient : “enfin une personne qui a compris que les toilettes ne devraient pas être divisées“. Tu peux être qui tu veux au Renard », lance-t-il.
Arrivé dans la métropole pour étudier en design de l’environnement à l’UQAM, Marc-Antoine Coulombe a tout de suite trouvé un sentiment d’appartenance en découvrant le Quartier gai. « J’ai fait mon coming-out en déménageant à Montréal. Le Village a été une révélation pour moi, je me suis dit ‘’wow, j’ai le droit’’», raconte celui qui s’affiche aujourd’hui en tant qu’homosexuel.
La face cachée du Village
Le Village n’est pas pour autant sécuritaire pour un étudiant LGBTQ+, selon Bruno Laprade, doctorant en sémiologie à l’UQAM ayant travaillé comme intervenant communautaire dans plusieurs organismes du Quartier gai. « Il y a beaucoup d’exploitation sexuelle et économique des jeunes. Qu’est-ce qu’on veut voir dans les bars de danseurs nus? Des corps beaux et musclés », explique-t-il.
La relation entre les jeunes et le Village est ambiguë et surtout, nuancée. « Le Village reste quand même un lieu riche de découvertes de soi pour les jeunes gais qui veulent trouver un emploi, [construire] une communauté. Disons que le Village vient avec les deux côtés », explique Bruno Laprade.
Un village pour tous?
La réflexion sur la place de chacun au sein du Village est entamée. La librairie L’Euguélionne était d’ailleurs l’hôte d’un panel de discussion intitulé « À qui le Village? », dans le cadre des festivités de Fierté Montréal. « J’étais content de voir ce panel, de voir qu’il y a des gens qui s’y intéressent, pas juste dans une perspective commerciale, conclut Bruno Laprade. Que les gens veulent en faire un espace, y réfléchir, se le réapproprier, je trouve que c’est bon signe, pour que le Village continue à vivre autrement que comme institution touristique. »
photo: CATHERINE LEGAULT MONTRÉAL CAMPUS
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