Les cantines sont des hauts-lieux du patrimoine routier québécois, fortes d’un personnel jovial et travaillant. Avec Esprit de cantine, un film contemplatif d’une subtile sensibilité, le réalisateur Nicolas Paquet livre le portrait savoureux de deux casse-croûtes d’ici dans le cadre des Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM).
« Moi c’est Mimi, Madame c’est ma mère! », répond Micheline Gagné à un client trop poli depuis ses fourneaux. Dans sa cantine de Saint-Alexandre-de-Kamouraska, dans le Bas-Saint-Laurent, la vieille dame accueille camionneurs et habitués avec une jovialité débonnaire, aidée de ses filles qui triment en cuisine six mois par année.
De l’autre côté de l’estuaire, dans sa camionnette aménagée en cuisine exigüe, Nathalie Lessard a le monopole de la friture de Tadoussac. Ancienne étudiante en anthropologie à Montréal, elle a délaissé les études et la ville pour de bon lorsque sa mère est tombée sur l’avis de vente d’un food-truck déjà très populaire sur la Haute-Côte-Nord.
Par des plans fixes qui s’enchaînent pour nous faire découvrir les dessous de ces deux établissements, on en apprend sur la réalité de la cuisine de casse-croûte en passant de Chez Mimi, le havre de Mme Gagné, au Connaisseur, la camionnette légendaire de Tadoussac. Bercé par les airs de blues hauts perchés de Fred Fortin, le film présente avec un rythme lent ces gens simples et radieux qu’on retrouve dans les cantines. Très touchante, Mimi Gagné nous surprend avec sa cinglante irrévérence, trait partagé par sa fille la plus vieille, Pam, qui attend un enfant. À la question de la succession, elle répond sans détour à sa fille : « J’aime mieux que vous fassiez vos études avant de penser à vous léguer la cantine. »
Femme d’affaire acharnée, Nathalie Lessard lutte avec sa municipalité pour obtenir le droit de déménager sa cuisine dans un plus grand camion. Bien qu’elle ait déjà acquis un vieux fourgon de livraison sur les murs duquel elle a recueilli plus de trois cent signatures en guise de pétition, elle est toujours confrontée à l’impasse décisionnelle de Tadoussac.
« Mon idée, c’était de capturer l’ambiance », explique Nicolas Paquet à la fin de la projection de son film. Bien qu’il propose un portrait authentique et poétique du monde des cantines, le film ne nous en apprend presque pas sur la situation des gens qui y œuvrent et sur leurs activités hors de la saison estivale. Il n’offre pas non plus une vision d’ensemble sur ce monde secret de la restauration.
On peut supposer qu’il en allait de la volonté de Nicolas Paquet de ne pas trop intervenir dans le tournage pour favoriser un style plus direct dans le documentaire. Toutefois, le documentaire présente des plans fugaces d’autres cantines qu’on ne mentionne jamais par après, de quoi susciter davantage de questions qui n’obtiennent pas de réponses.
La fin du film laisse donc le spectateur sur sa faim, quoiqu’elle apporte aussi un chaleureux baume sur le cœur. Présenté à deux reprises dans le cadre des RIDM, Esprit de cantine paraîtra en salles au mois d’avril. Nicolas Paquet, qui en est à son quatrième documentaire, après La règle d’or (2012), Ceux comme la terre (2014) et Les sucriers (2015), nous montre avec justesse des individus « qui ont besoin de contact humain» en manifestant, non sans raison, que « c’est dans notre identité québécoise, les cantines. »
photo: Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM)
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