Les cirques du Québec sont reconnus pour leur innovation constante, principalement parce qu’ils n’ont pas tendance à mettre en scène des animaux dans leurs spectacles. L’utilisation des bêtes n’est toutefois pas éradiquée et émerveille de par sa rareté dans la province. Portrait d’un milieu qui conjugue des pratiques du passé et du présent.
Les cirques québécois sont des hybrides entre les cirques européens, à saveur plus expérimentale, et les cirques américains, beaucoup plus sensationnalistes. C’est ce que croit la cofondatrice du cirque des 7 Doigts de la main, Sabrina Gilbert. « Nous sommes dans une belle effervescence où plusieurs artistes et compagnies proposent des œuvres pertinentes et originales », déclare-t-elle. Certains spectacles donnent une impression de ce qu’elle décrit comme l’adolescence de la forme, avec juste assez de maturité pour proposer des concepts profonds, tout en ayant le culot de provoquer les conventions.
Il y a bien longtemps que le Québec n’a pas connu un cirque animalier, à quelques exceptions près. L’enseignant en histoire et esthétique du cirque et des arts de la scène à l’École nationale de cirque, Louis Patrick Leroux, s’est intéressé à ce sujet. « Nous avions toute une tradition au 19e siècle avec les jardins publics, comme les populaires Guilbault (où se trouve aujourd’hui une partie du Plateau-Mont-Royal) et Sohmer (dans l’actuel arrondissement Ville-Marie). On y accueillait des animaux exotiques et il existait des gymnases où s’entraînaient d’éventuels acrobates », détaille M. Leroux, qui décrit cette époque comme la préhistoire du cirque québécois. Aujourd’hui, Cavalia et La Centaurée font partie des rares cirques équestres au Québec parmi la quarantaine de compagnies implantées au pays.
Une épopée de renom
C’est essentiellement avec l’arrivée du Cirque du Soleil, en 1984, que la culture du cirque québécois a pris une tournure importante. L’entreprise allait bientôt devenir une figure de proue du cirque contemporain par l’absence d’animaux dans leurs spectacles, autant au Québec qu’à l’international. « [Le Cirque du Soleil] n’avait pas l’expertise nécessaire et le dressage d’animaux est extrêmement long et coûteux », explique Patrick Leroux. La jeune compagnie a présenté son spectacle Le Cirque réinventé en Californie dès 1987, ce qui a complètement sidéré et étonné les Américains. C’est le début d’une transformation américaine et bientôt mondiale.
« Si les cirques équestres se font rares, c’est effectivement parce que la marque de commerce du cirque québécois s’est forgée sans animaux, grandement en raison de cette ferveur du Cirque du Soleil », croit Marie-Claude Bouillon, fondatrice de Luna Caballera, la première compagnie de cirque équestre au Québec, mise sur pied en 1999. Elle est également cofondatrice de La Centaurée, un cirque qui emploie aussi des chevaux dans ses spectacles.
« J’ai découvert le spectacle équestre en Europe et je l’ai ramené ici, au Québec. À l’époque, rien de ce genre n’existait. C’était excitant de devoir tout construire », explique Mme Bouillon, qui se dit une passionnée de théâtre, de musique et de chevaux. Ce sont ces champs d’intérêt qui l’ont poussée à implanter le cirque équestre au Québec. Selon elle, nous sommes à présent très loin du cirque familial traditionnel. « Les tout premiers cirques du monde étaient équestres. Le chapiteau, cet emblème du cirque traditionnel, a même été conçu au diamètre près pour accueillir des chevaux au galop », révèle-t-elle.
Marie-Claude Bouillon croit que le cheval dégage une puissance qui entraîne un sentiment d’émerveillement chez les spectateurs. « C’est un animal qui transmet une forte impression de pureté et de beauté. Un cheval pourrait être en piste sans acrobates et tout de même toucher les gens », enchaîne-t-elle. Les spectacles de Luna Caballera et de La Centaurée se composent de voltiges qui sont en symbiose avec le cheval, décrit Mme Bouillon. « Le travail de communication est primordial pour arriver à bâtir un spectacle. Les chevaux se découvrent eux-mêmes dans ces processus et surtout, ils sont heureux », affirme-t-elle, tout en condamnant les cirques qui maltraitent les animaux.
Un sentiment d’émerveillement
Les 7 doigts de la main adoptent aussi un processus créatif unique, qui ne comporte pas d’animaux. « Il y a toujours une étincelle qui déclenche le processus, mais j’ai du mal à trouver leur dénominateur commun. C’est parfois une pièce de musique, parfois un phénomène naturel, parfois une conversation ou encore une photographie », dévoile Sabrina Gilbert, qui tente de véhiculer des émotions qu’elle ressent réellement et non pas des idéaux qu’elle imagine.
Toute œuvre devrait amener le spectateur à réfléchir à sa propre condition, estime Sabrina Gilbert. Pour l’artiste, la prise de risque a toujours été très importante dans les arts du cirque. « Partager la scène avec des animaux comporte son lot d’imprévus, de spontanéité et même de dangers », suppose-t-elle, en admettant que ce procédé artistique peut avoir un impact puissant sur l’auditoire.
Le Québec possède aujourd’hui un écosystème de cirque florissant et beaucoup plus intéressant qu’il ne l’était il y a 25 ans, affirme Louis Patrick Leroux. « On a surtout remis en cause ce besoin de démontrer à quel point l’humain maîtrise l’animal. Aujourd’hui, les cirques du Québec sont davantage préoccupés par la maîtrise de l’humain », croit-il.
photo: LAURENCE MEUNIER MONTRÉAL CAMPUS
Des artistes de cirque en performance à La Funéraille des Beaux Jours, à Sainte-Rose-du-Nord.
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