Alors que les médias font face à un problème d’intégration des minorités visibles, la situation dans les classes n’est guère plus reluisante, selon le directeur du programme de journalisme à l’UQAM, Jean-Hugues Roy. Un débat entre quatre acteurs du milieu journalistique a eu lieu le 6 octobre dernier à l’Université de Montréal afin de comprendre d’où vient réellement cette problématique.
Le constat émis par le directeur Diversité et Relations citoyennes chez Radio-Canada, Luc Simard, est clair: « Dans l’ensemble, six pour cent des gens [dans les médias] sont issus de minorités visibles. » On est bien loin du pourcentage observé dans la population, qui franchit la barre des vingt pour cent à Montréal, selon des données de Statistique Canada remontant à 2011. « Ce n’est pas beaucoup. Il y a énormément de travail à faire », avoue Luc Simard dès le début du débat à l’Université de Montréal.
Le journaliste à Radio Canada Akli Ait Abdallah a tenté d’expliquer le manque d’intérêt des jeunes issus des minorités visibles pour la profession. « Ma génération d’immigrants, de façon générale, voyait l’avenir de nos enfants dans la médecine, le droit, des métiers lucratifs. Être artiste, humoriste ou journaliste, c’était un peu folklorique », affirme Akli Ait Abdallah.
C’est d’ailleurs une hypothèse appuyée par le responsable du programme de journalisme à l’UQAM, Jean-Hugues Roy, quant au faible taux de minorités étudiantes. Le professeur souhaite faire la promotion du programme auprès d’établissements secondaires et collégiaux afin d’aller parler directement à l’ensemble des Québécois. « Les salles de presse des médias actuels ne reflètent pas le Québec de 2017. Nos étudiants non plus. Je veux changer cela et ça commence ici, à l’université », affirme-t-il.
Tomber dans le piège
Un ancien étudiant du programme de journalisme à l’UQAM, Hadi Hassin, s’est prononcé sur les défis rencontrés par les minorités dans le domaine. Né au Québec et ayant grandi dans une culture arabo-musulmane, il explique le danger de tomber dans un piège où l’identité minoritaire d’un individu peut prendre le dessus dans le métier. « Je ne veux pas être l’Arabe de service. Par exemple, lorsqu’il y a un attentat, on me demande si je suis prêt à commenter, mais je n’ai aucune spécialité pour parler du sujet », explique-t-il.
Le journaliste à Radio-Canada Raed Hammoud rapporte que des expériences similaires lui sont arrivées. Il raconte qu’il a été appelé à commenter une nouvelle concernant une bombe, malgré qu’il n’ait aucune connaissance en la matière.
M. Hammoud souhaite d’ailleurs ne jamais être appelé en ondes à cause de ses origines. Les minorités ne veulent pas être réduites à leur origine ethnique; au contraire, il faut les appeler et les recruter pour leurs compétences journalistiques.
Les deux côtés de la médaille
Le professeur de sociologie à l’UQAM Rachad Antonius croit que lorsqu’une personne immigre au pays, elle n’a pas seulement la langue à apprendre. Une compréhension des codes culturels, des enjeux culturels et politiques ainsi qu’un réseau de personnes ressources sont nécessaires. Un nouvel arrivant peut parler de son vécu, mais pour commenter une émission sur le théâtre, par exemple, il faut qu’il ait eu le temps de faire partie du réseau en question.
Par contre, le sociologue croit que pour les salles de nouvelles spécifiquement, les immigrants sont plus en contact avec les réalités d’ailleurs. Au cours de la conférence, une ancienne journaliste à TVA et membre du Conseil des Montréalaises, Dorothy Alexandre, a expliqué l’importance de ce qu’elle appelle la diversité des regards. « Cela permet aux pupitreurs et chefs de pupitres d’aller puiser cette information qui est dans nos coeurs, dans notre tête, dans nos tripes. »
Hadi Hassin croit que du chemin a été parcouru. « De plus en plus, il y a une ouverture, une sensibilité et je pense qu’on commence à prendre conscience du problème », souligne-t-il.
illustration : VINCENT LAPOINTE
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