Le masculin qui l’emporte sur le féminin, c’est terminé pour les plumes derrière la Grammaire non sexiste de la langue française, Michaël Lessard et Suzanne Zaccour. Dans leur plus récent ouvrage, le coauteur et la coautrice s’attaquent au « pilier inviolable de la langue française » et proposent des stratégies de féminisation pour améliorer la visibilité des femmes à l’écrit.
Les méthodes de rédaction non sexiste sont multiples: vocabulaire épicène, doublets, graphie tronquée… Quel que soit le procédé, « la féminisation, c’est simplement rendre compte de la réalité », résume Michaël Lessard. À son avis, il faut contrer « l’effort de masculinisation » de la langue mené au 17e siècle dans le but de circonscrire la place des femmes.
« L’exemple le plus connu, c’est autrice, le féminin d’auteur, dérivé de sa racine latine “auctrix” selon l’évolution naturelle du français, explique-t-il. On a retiré le terme parce qu’on considérait qu’une femme ne pouvait pas écrire. » Michaël Lessard souligne l’écart de prestige entre les mots conservés et ceux bannis, comme « spectatrice » et « serveuse » qui sont restés contrairement à « philosophesse » et « capitainesse ». La prédominance du masculin est aussi une règle artificielle, ajoute-t-il.
La femme invisible
Suzanne Zaccour soutient que l’emploi exclusif du masculin influence l’imaginaire, soulevant un sentiment d’injustice et d’invisibilité. « Si on dit “les avocats” de manière générale, on pense à des hommes même si plus de la moitié des avocats sont des avocates », illustre-t-elle.
Ne pas féminiser contribue à l’effacement des femmes dans la sphère publique et à la mise en place d’un plafond de verre, ce qui limite les carrières envisagées par les jeunes filles, poursuit l’autrice.
L’Office québécois de la langue française (OQLF) est d’accord que le masculin générique ne rend pas compte de la présence des femmes dans la société, indique son porte-parole, Jean-Pierre Le Blanc. La rédaction épicène est préconisée pour intégrer les formes féminines aux textes. « Il est important de féminiser les textes, notamment les offres d’emplois, pour que les femmes se sentent interpellées autant que les hommes », précise-t-il.
Absence de consensus
Globalement, le porte-parole de l’OQLF remarque une adhésion aux règles de base pour désigner le féminin des noms. Des sujets précis portent toutefois à débat, comme les formes tronquées. « Nous revoyons actuellement notre position sur ce dossier particulier à l’Office », mentionne-t-il.
Le choix de stratégie dépend du contexte, observe Suzanne Zaccour. Créer un modèle standard de féminisation est difficile, voire impossible vu le caractère éclaté et organique du concept, juge-t-elle. Michaël Lessard insiste que la Grammaire non sexiste n’impose pas de méthode unique, mais témoigne de la pluralité des options. « L’idée n’est pas d’arriver à un consensus, sauf celui où le masculin ne l’emporte plus », déclare la coautrice.
L’étudiante à la maîtrise en études littéraires à l’UQAM Sandrine Bourget-Lapointe croit que les règles de féminisation doivent éviter d’alourdir le travail d’écriture. « Ce doit être assez fonctionnel pour inciter les gens à employer cette façon d’écrire », estime-elle.
À l’UQAM, le Guide de féminisation des textes, en vigueur depuis les années 1990, présente les règles de rédaction épicène, pour les textes informatifs, « à titre de suggestion ». Seules les normes pour les documents juridiques et les formulaires sont obligatoires. Sandrine Bourget-Lapointe note que les communications institutionnelles font souvent usage de doublets. « On voit un certain souci, mais il n’y aucune politique officielle », regrette-t-elle. Le personnel enseignant est libre d’accepter ou non les méthodes des élèves. D’après son expérience, la féminisation est valorisée, mais cela peut varier selon le département.
Prise de position linguistique?
Jean-Pierre Le Blanc affirme que la féminisation lexicale ne relève plus d’un choix politique ou féministe de nos jours, puisqu’elle est bien intégrée dans la langue. « La rédaction épicène, quant à elle, n’est pas encore totalement généralisée. Certains ou certaines peuvent donc la percevoir comme une prise de position », soulève-t-il, précisant que l’OQLF ne s’est pas penché sur la question.
Selon Michaël Lessard et Suzanne Zaccour, les modes de féminisation s’étendent sur un continuum allant de l’inaperçu à la polémique. « Le féminin générique, par exemple, se démarque plus et peut causer des débats », constate l’autrice. À son avis, la féminisation reste une prise de position dans la mesure où il s’agit d’un choix, tout comme le refus de le faire. « Une fois qu’on en prend conscience, il faut se commettre: on perpétue le statu quo sexiste ou on fait l’effort de féminiser », signale-t-elle.
Sandrine Bourget-Lapointe reconnaît que la non-féminisation est plus simple, mais « il y a un ras-le-bol de la note explicative qui dit que “le masculin est utilisé dans le texte de façon à englober le féminin”. […] C’est de la paresse », déplore-t-elle.
Vers la neutralité de genre
Parallèlement à l’ajout d’un sexe « X » sur le passeport, les termes non genrés se répandent peu à peu pour inclure les personnes trans et non-binaires. L’OQLF n’a cependant pas encore émis de recommandations quant à ce type de rédaction. « Nous suivons l’évolution du dossier et lorsque des propositions émanant [des recherches universitaires actuelles] seront disponibles, nous pourrons les étudier », mentionne le porte-parole.
Michaël Lessard se réjouit de ces changements. « Peut-être que le prochain défi de la féminisation se trouve là », suppose-t-il. Et la pureté de la langue française? « S’il y a eu une dénaturation, elle s’est opérée au 17e siècle », réplique-t-il.
photo: MARTIN OUELLET MONTRÉAL CAMPUS
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