Lady Poonana, Léa Fortin pour les intimes, trace son chemin dans une industrie où les femmes ne sont pas réputées pour avoir leur place : le drag. Bioqueen et fière de l’être, elle incarne les désirs et la mentalité de cette nouvelle génération de drag queens. Portrait d’une reine pas comme les autres.
À quelques coins de rue du Village gai évolue l’univers loufoque de Lady Poonana, mieux connue sous le nom de Léa Fortin lorsqu’elle laisse tomber la perruque et les accoutrements pimpants de son personnage. La création de la personnalité débridée de cette femme aux airs frivoles a commencé il y a maintenant deux ans et demi.
« Lady Poonana, c’est une veuve au foyer des années 50. J’utilise ce personnage pour ridiculiser l’oppression des femmes tant dans le passé que dans le présent, explique la jeune femme qui amorce la vingtaine. Elle est seule dans sa grosse cuisine rose et elle prend plein de médicaments; c’est ma manière d’expliquer pourquoi elle bouge de façon bizarre. »
Une perruque noire, du rouge à lèvres extravagant et une sensualité assumée sont les fondements du personnage de Léa Fortin, qu’elle ne considère pas encore tout à fait solide. « C’est difficile d’inventer une nouvelle personnalité, souligne-t-elle. Si tu n’es pas capable d’exécuter ce que tu veux faire faire à ton personnage, ça ne va pas fonctionner. Tu dois trouver ce que tu es capable de faire croire à ton public. »
L’habit ne fait pas la queen
« J’ai commencé quand j’avais 17 ans. Je faisais [du drag] dans ma chambre, juste pour le plaisir, explique-t-elle. Je me suis rendue compte que je pouvais [faire du drag] moi aussi, même si j’étais une fille. » La drag queen classique est reconnue pour être un homme incarnant un personnage féminin, mais des variantes existent à cette transformation binaire.
Léa Fortin fait effectivement partie d’une catégorie particulière au sein de la communauté : les bioqueens, des femmes incarnant leur personnage féminin.
L’artiste croit toutefois qu’il y a encore du chemin à faire pour que les femmes soient aussi bien intégrées que les hommes dans le milieu. « Ils te voient comme quelqu’un qui a des preuves à faire pour t’élever au même niveau que quelqu’un qui a un pénis, clarifie-t-elle. Tu ne vas pas te faire discriminer ouvertement, mais ça reste que les hommes [homosexuels ou non] ont une part de sexisme institutionnalisé ancrée profondément en eux. »
La bioqueen souligne par ailleurs que ce sexisme fait parfois ressortir des attaques verbales qu’elle qualifie de « microagressions » et dont il ne faut pas minimiser l’ampleur.
Une histoire d’oppression
La culture drag est intimement liée à une forme de militantisme: celle-ci est toutefois plus ou moins apparente selon le concept choisi pour le numéro. Certains sont à caractère plus politique alors que d’autres peuvent comporter des prouesses de danse, de chant ou de comédie. Léa Fortin croit qu’il y a toutefois toujours une forme de soulèvement lorsqu’une personne décide de s’incarner drag queen.
« Historiquement, [le drag] est un mouvement créé par les femmes transgenres, donc ancré dans la culture LGBTQ. C’était une culture créée pour réclamer des droits, précise-t-elle. Même si le but de ton drag n’est pas de faire du militantisme, tu en fais quand même dans la mesure où tu ne respectes pas les normes de genre de la société. »
La jeune femme souligne d’ailleurs que la transphobie est étonnamment présente dans le milieu, mais pas toujours de manière consciente. « Quand on me présente au moment où je vais entrer en scène, on dira souvent que je suis la seule vraie femme sur scène, explique-t-elle. Il y a beaucoup d’artistes transgenres aux endroits que je fréquente, mais elles ne se font pas présenter de la même façon. Pour moi, c’est un comportement transphobe. »
L’envers de la scène
Le statut de bioqueen donne parfois du fil à retordre à Lady Poonana, puisque sa présence ne fait pas l’unanimité partout où elle performe. Plusieurs supposent que la jeune femme fait partie d’une norme sociétale de genre bien définie. « Quand ils me voient, ils pensent que je suis une femme cis-hétérosexuelle, mais en fait je suis une personne fem, genderfluid pansexuelle, précise-t-elle. Pour eux, je fais une invasion de leur espace, mais je fais partie du parapluie LGBTQ et je pense donc que j’ai ma place. »
Certains endroits sont toutefois renommés pour n’accepter que le standard classique de la drag queen. Le bar Cocktail, qui propose des soirées où la personnification de personnages connus est à l’honneur, tient un concours pour drag queens débutantes, mais n’accepte pas que les femmes participent.
Selon Léa Fortin, cette décision tient du fait que l’établissement juge que ce n’est pas ce que le public veut voir. Elle croit toutefois que c’est une situation à laquelle il faut remédier. « Quand tu es une personne d’autorité dans la communauté, c’est toi qui décides ce que le public veut voir, souligne-t-elle. Il y a beaucoup de gens qui disent que le public n’est pas rendu là dans sa manière de penser, mais c’est ton travail de faire en sorte qu’ils s’y rendent, parce qu’ils ne vont pas le faire eux-mêmes. »
photo: Trung Dung Nguyen
Le personnage de Lady Poonana en prestation
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