Le théâtre moderne s’est souvent demandé ce qui pouvait autoriser l’Homme à tuer ses semblables. Si l’idéologie ou la religion a bercé la plupart des désespérés du dernier siècle, les tueurs de notre temps sont plutôt victimes du vide généralisé. La pièce Les Événements présentée au Théâtre La Licorne nous plonge à nouveau dans ce gouffre meurtrier, comme quoi le nihilisme est une drogue qui traverse les décennies.
Le texte du dramaturge écossais David Greig se veut inspiré de l’attentat commis par le Norvégien Anders Behring Breivik en 2011, tuant 77 personnes, mais la prémisse s’en écarte avec beaucoup de liberté. Les Événements se veut d’abord un duel d’acteur inégal entre Emmanuel Schwartz (excellent en jeune tueur) et Johanna Sutter (plus hésitante en pasteure anglicane).
L’actrice dirige dans la pièce une chorale victime de l’attentat, ce qui est un bon prétexte pour introduire un chœur multiculturel de neuf personnes dans la production. Accompagnant nombre de moments dramatiques musicalement, le chœur est utile, mais parfois superflu. La petite scène de La Licorne semble parfois étouffer les neuf acteurs, dont certains brillent dans leur jeu mais jamais très longtemps.
La mise en scène de Denis Bernard se veut efficace et l’écran numérique situé sur le mur derrière la scène est ingénieux. On y passe d’une forêt où Emmanuel Schwartz s’entraîne en solitaire jusqu’aux plans très serrés et émouvant des yeux de ses victimes. Si la pièce ne permet pas d’analyser très profondément les causes de la radicalisation, elle nous plonge au moins dans ses moments de beauté et de sensibilité qui sont les propres de la tragédie. «Le spectateur ne vient surtout pas voir les acteurs s’épancher et vivre une catharsis parce que le monde va mal. Il vient être questionné, diverti, brassé», disait l’acteur principal en entrevue au Devoir. D’accord, mais n’empêche que le tragique est présent sur scène et que cela en est sa principale qualité.
La scène finale, un face à face envers Johanna qui visite le tueur en prison est pourtant décevante. Les deux acteurs ne semblent pas être au même niveau, et les questions sont abordées avec clichés (Je n’ai qu’une question, pourquoi?).
Reste que plusieurs lignes de la production frappent et nous font comprendre à quel point nos tueurs ont changé. Albert Camus admirait Kaliayev dans Les Justes car celui tuait par un geste d’ultime révolte. Nous sommes à une éternité de ces tueurs altruistes. Les nôtres tuent par solitude, manque d’amour et racisme. Les Événements prouve tout de même que ceux-ci ont encore un éclair de dignité dans leurs yeux qui mérite d’être immortalisé par l’art. Au fond de sa cellule à la fin de la pièce, Emmanuel Schwartz l’avoue, il ne dort plus depuis les incidents. Autrement dit, il n’est pas un monstre.
La pièce Les Événements est présentée au Théâtre La Licorne jusqu’au 20 février 2016.
3/5
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