Dans l’ouvrage Mater la meute (éditions LUX), la professeure de sociologie Lesley J. Wood observe la dérive progressive de l’action policière au Canada et aux États-Unis vers une tendance de plus en plus militarisée et agressive.
D’entrée de jeu, la sociologue Lesley J. Wood avance la thèse que le néo-libéralisme entraîne la militarisation de l’action policière et affecte le travail de la police de deux manières distinctes. Cette idéologie la force à justifier son existence et à assurer une norme d’efficacité. La police faisant partie intégrale de l’État, elle se voit passer dans le tordeur de la saine gestion et du management.
Parallèlement, en s’attaquant à la couverture sociale de l’État, le néo-libéralisme encourage l’appauvrissement et la marginalisation sociale, qui à leur tour alimentent les mouvements sociaux. Mater la meute devient alors l’argument coup-de-poing pour justifier les dépenses.
Selon Wood, les divers services policiers n’agissent pas en vase clos et la mondialisation facilite leur militarisation. À la suite du sommet de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Seattle en 1999 et à l’émergence de mouvements altermondialistes, les corps policiers ont réorganisé leur gestion des manifestations en se fondant sur le savoir extérieur.
Les sources d’expertise se multiplient : associations de chefs de police, congrès et organismes de recherches, auxquels s’ajoutent lobbys et firmes de consultants privés. On échange et on magasine les bonnes pratiques d’autrui. Se maintenir à la fine pointe de la technologie étant une preuve d’efficacité, l’achat compulsif de nouveaux gadgets devient paradoxalement une justification en soi du financement de l’État.
L’ère de la neutralisation stratégique
Lesley J. Wood soulève l’avènement d’une nouvelle stratégie de gestion des manifestations : la neutralisation stratégique. Cette nouvelle pratique repose sur un objectif fondamental : neutraliser la menace avant qu’elle ne se concrétise. Par l’usage de collecte de renseignements, les forces policières vont évaluer le potentiel de dérangement d’un évènement donné, afin de prévoir son évolution. Sur les lieux de la manifestation, l’action policière vise l’isolement des manifestants.
À l’ère de la neutralisation stratégique, l’intervention n’est donc pas causée par le crime, elle le présume et le devance. La souricière devient alors l’exemple le plus frappant d’une pratique qui musèle la parole avant même qu’elle ne soit exprimée.
Policier et manifestant : une barrière étanche
En entretenant des mythes sur l’action militante et en privilégiant une vision manichéenne de la manifestation, les forces policières entretiennent une barrière étanche qui sépare le eux du nous, le bien du mal. Wood appelle à sa déconstruction graduelle, invitant les militants à dépasser le « A.C.A.B. »* afin de mieux saisir la réalité policière.
Ni démons, ni pions, les corps policiers répondent aux impératifs du néo-libéralisme et sont mués par leurs valeurs et leur vision de la manifestation. Comprendre l’action policière nécessite de l’aborder comme le résultat d’un système qui mute et se mondialise. C’est ce que Lesley J. Wood accomplit avec brio.
*«ACAB»: fait référence au slogan « All Cops Are Bastards », apparu pour la première fois dans les années 1970
Photo: Alexis Boulianne
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