Une génération complète de poètes québécois souligne le quinzième anniversaire de la mort de Geneviève Amyot ce printemps. Cette poète de Lévis toujours lue et célébrée semble prête pour l’immortalité.
Son éditeur croit qu’une place lui revient, quelque part entre Anne Hébert et Réjean Ducharme, pour sa voix tremblante, mais forte, morcelée, bien qu’assurée. Oui, le souffle de Geneviève Amyot est toujours présent dans la poésie contemporaine, soutient le directeur des Éditions du Noroît, Paul Bélanger, et il pourrait être bien plus fort. «Elle a renouvelé le langage poétique dès son premier titre avec La mort était extravagante publié en 1975, énonce l’éditeur ayant publié les œuvres de la poète. Elle est toutefois méconnue, parce que presque sauvage.»
Celui-ci explique que la poète de Lévis vivait complètement retirée, à l’abri de la ville, inspirée principalement par sa famille et le fleuve. «Elle vivait recluse, mais la force de sa voix traversait les espaces, encore aujourd’hui beaucoup de poètes, Kim Doré aux poètes de brousse par exemple, se réclament de Geneviève Amyot», souligne le chargé de cours au Département d’études littéraires de l’UQAM. Elle fait partie des rares écrivains québécois, selon lui, à avoir écrit un véritable chef-d’œuvre avec son recueil encore lu et étudié : Je t’écrirai encore demain, paru en 1995.
Née à Saint-Augustin-de- Desmaures près de Québec en 1945 dans un milieu très rural, rien n’indiquait au départ que la jeune fille allait se consacrer à l’écriture. Comme le souligne son fils Olivier Amyot, la maison familiale ne possédait à l’époque aucun livre. «Mon grand-père trouvait que la lecture était un passe-temps inutile, tout le monde travaillait au champ. Dans ces circonstances, la passion de ma mère pour l’écriture semble innée», croit-il. Quatorzième enfant de la famille, Geneviève Amyot n’allait entrer en contact avec quelques livres qu’à la petite école, et c’est une passion qui n’allait pas s’essouffler. «J’ai retrouvé son journal intime dernièrement, son premier poème est écrit à l’âge de 13 ans, elle est déjà tellement lyrique», ajoute Olivier. Celui-ci a décidé d’ouvrir le journal de sa mère progressivement après son décès. Il a alors découvert une œuvre monumentale, puisque Geneviève Amyot écrivait tous les jours. Le recueil est toujours inédit. Olivier Amyot a permis au Montréal Campus de publier le premier poème de sa mère sur le thème de la neige le 22 novembre 1958 (voir encadré).
Une immense correspondance
L’écrivain et médecin Jean Désy est une des rares personnes à avoir entretenu une longue correspondance avec Geneviève Amyot. Au cours des années, cette relation s’est enrichie jusqu’à ce qu’elle compte 1500 pages, du contenu qu’il a cherché à partager pour faire entendre la voix de la poète. «Non seulement sa parole existe encore, soutient le professeur de littérature à l’Université Laval, mais certains de ses textes comme Petites fins du mondes parus en 1988 font partie des fondements de notre littérature.» Sur les thèmes qui ont passionné l’écrivaine au cours des années, Jean Désy croit que son amour se divisait difficilement entre le fleuve, ses enfants et la poésie. «Il y avait quelque chose d’insoluble en elle, entre le fait d’être mère et le fait d’écrire», souligne-t-il
C’est cette même dualité qu’a vécue Olivier dans la maison familiale à Saint-Joseph-de- Beauce. Il a grandi en voyant sa mère écrire d’une manière nécessaire et irrévocable, explique-t-il. «Geneviève avait un grand bureau de chêne où elle effectuait son travail. J’avais le droit d’y aller à condition que je ne fasse pas de bruit, rappelle-t-il. Elle a toujours semblé lutter contre la banalité et l’insensible de manière très introspective.» L’écrivaine a continué à exercer sa passion jusqu’à ce qu’elle entame un combat ultime contre une maladie dégénérative, qui aura pris 10 ans à la vaincre. Cette nécessaire volonté d’écrire est confirmée par son dernier poème, provenant aussi du journal trouvé par son fils. Celui-ci a été écrit d’une main tremblante, sur son même bureau de chêne, curieusement encore sur le thème de la neige: Elle est ici sous nos pas, sous le soleil/ Nos yeux vont brûler/ Nos yeux ne sont pas fait pour pareille lumineuse blancheur/ Nous n’atteindrons jamais la neige. Olivier Amyot n’est pas devenu poète, il est plutôt menuisier. La poésie est trop abstraite pour lui, bien qu’il se retrouve dans la sensibilité de sa mère. «Elle m’a légué cette ultra- sensibilité, ce sentiment que je suis toujours étranger au cours du monde, recherchant sans cesse ma place, sans jamais la trouver», affirme-t-il.
Ce printemps était aussi bien spécial pour la communauté littéraire de Québec puisque l’organisation du Mois de la Poésie, série d’évènements destinés à promouvoir les démarches poétiques, a décidé de rendre hommage à Geneviève Amyot par le lancement d’un prix international de poésie lui étant dédié. Ce prix sera remis chaque année à de jeunes écrivains sautant dans l’arène de la poésie. Une très belle façon, pour la porte-parole du Mois de la Poésie, Isabelle Forest, de saluer la relève avec l’œuvre à la fois lumineuse et rigoureuse de la poète qui continuera fort probablement d’être étudiée ici et ailleurs.
Extrait inédit du journal de Geneviève Amyot
22 novembre 1958
La neige tombe blanche immaculée
Elle glisse paisiblement dénuée
Et muette comme aux jours les plus solennels
Elle descend doucement déployant ses ailes
C’est si doux de la voir partout se poser
Refermant tous les cœurs blessés
Ensoleillant les sombres pensées
Séchant les larmes des opprimés
Sa tendre blancheur apporte de l’espoir
Aux âmes qui errent dans les ténèbres du soir
Et de son blanc manteau couvrant la terre
Elle cache du monde les terribles misères
La neige vient laver les crimes des Hommes
La neige si pure voudrait que l’humanité soit bonne
La neige qui charme les poètes
Vient apporter à la terre une pudeur parfaite
Car afin de purifier les iniquités
Elle apporte la paix à l’humanité
La neige voltige, semant ça et là le bonheur
L’amour et la douce paix du cœur
Photo : goodreads.com
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