Pour intégrer la viande à l’alimentation quotidienne, il suffit aujourd’hui de passer au supermarché. S’il fallait attraper et abattre son propre animal, plusieurs se contenteraient d’une salade.
L’employé d’une porcherie est confronté chaque jour à la mort. Un travailleur égorge en moyenne 500 porcs à l’heure. Si certains ont le sang-froid nécessaire, d’autres en sortent mal en point. Des rapports de la Commission de la santé et sécurité au travail (CSST) démontrent qu’une certaine détresse psychologique touche tous les paliers de l’industrie. L’élevage et l’abattage d’animaux sont des secteurs d’activité à risques extrêmes, selon la CSST.
Les témoignages rapportent que le stress au travail, le bruit et la désobéissance des bêtes sont les premiers facteurs incitant à la violence sur les animaux. Le ministère de la Justice rappelle qu’un animal n’a pas de statut juridique dans la même catégorie que «les biens meubles». Il appartient donc à son propriétaire. «C’est une industrie faite pour faire des sous, avec des milliers de gens impliqués, qui part de la ferme, passe par l’abattoir, pour se rendre jusqu’au plat du consommateur», résume Josée Masse. La chroniqueuse du site Pitié mange moi pas, engagée dans la protection animale, Anick Blais croit qu’il y aura toujours de l’abus envers les animaux. «Les ouvriers deviennent insensibilisés, se conditionnent à ne rien ressentir et deviennent un maillon dans cette machine à tuer, un maillon qui ne doit pas briser la chaine de production, il ne faut pas perdre un sou», commente-t-elle.
Travailler dans un abattoir est rarement une occupation à long terme. Peu de gens n’arrivent pas à se désensibiliser au point de s’habituer. «La vitesse de travail demandée aux employés est très exigeante, les accidents de travail sont fréquents. Prenez juste le plancher glissant couvert de sang et de graisse, parfois l’employeur ne fournit même pas les bottes antidérapantes», se désole l’ex-inspectrice.
Le producteur, comme l’ouvrier, travaille dans des conditions majeures de stress. La difficulté à recruter la main d’œuvre est un des éléments qui décourage l’agriculteur à se lancer dans l’élevage porcin. De plus, la mondialisation des marchés a fait chuter les prix, les règles environnementales se sont endurcies et l’industrie a eu mauvaise presse avec les problèmes d’éthique que soulève la souffrance animale. Tous ces facteurs découragent plusieurs producteurs de tradition familiale.
L’employé type n’existe pas, selon l’ex-inspectrice Josée Masse, qui a travaillé près de 30 ans à l’Agence fédérale de l’inspection des aliments (ACIA). «Autant il y a d’individus, autant il y a de gens différents. Mais il y a des groupes qu’on remarque. Beaucoup d’immigrants, dont les diplômes ne sont pas reconnus, vont prendre le premier emploi qui s’offre. Nombre de jeunes peu scolarisés qui ont une famille à faire vivre aussi, du monde mal pris», ajoute-t-elle. Si des emplois sont créés grâce aux méga-porcheries, ceux-ci ne sont pas suffisamment attrayants pour être tous occupés par des résidents locaux. «Des usines offrent le transport, des autobus font la navette chaque matin pour aller chercher des travailleurs en ville et les ramener le soir venu», détaille Josée Masse pour expliquer les difficultés à stabiliser la main d’oeuvre. La syndicalisation des employés apporte un certain avantage à l’employeur car elle contribue au maintien à l’emploi de travailleurs réguliers, souvent attirés par les avantages sociaux, le fond de pension et la sécurité d’emploi.
Au cours des 20 dernières années, le secteur porcin québécois a connu une croissance fulgurante et les pratiques peinent à suivre le rythme. Si les animaux d’élevage étaient exploités jusqu’ici de la même façon que le produit d’une terre agricole, les temps ont changé et l’acceptabilité sociale pourrait devenir un critère essentiel à considérer. «Il faut d’abord donner un statut aux animaux et changer nos habitudes de consommation», croit Josée Masse. Après de nombreux débats sur la scène publique, le statut de l’animal prend de l’importance et chambarde l’industrie. Avec son nouveau projet de loi, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, Pierre Paradis, veut modifier le code civil du Québec pour que l’animal soit reconnu en tant qu’être sensible capable de ressentir la souffrance. S’appliquant autant à l’animal de compagnie qu’à celui d’élevage, cette nouvelle réglementation changera de façon considérable le travail des employés d’usines.
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Au Québec, le secteur porcin génère des retombées économiques de plus de deux milliards de dollars. La filière porcine québécoise implique plus de 24 000 personnes. Environ 70 % de la production porcine québécoise est exportée, c’est 45 % de la valeur des exportations canadiennes. Ces cinq dernières années, le porc du Québec a été exporté dans plus de 125 pays, ce qui représente 8 % du commerce mondial du porc.
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