Le web offre un voyage tout inclus aux auteurs désireux de s’autoéditer, mais sans assurance risque. Prochaine destination: le Québec.
Guy Langlois a mis trois ans pour écrire et réécrire son premier roman noir Réfrigérer après ouverture. Dans le confort de son salon, il s’attèle maintenant depuis un an à dompter la Toile pour y publier son livre et éventuellement ceux d’autres auteurs québécois via sa plateforme numérique, les Éditions Matopée. Le projet en est à ses balbutiements et seul son roman et une pièce de théâtre sont disponibles dans le catalogue en ligne. Des initiatives comme la sienne sont rares dans la province, alors que le phénomène de l’autoédition de livres numériques migre tranquillement vers le Québec. Loin d’y voir une menace potentielle, les maisons d’édition d’ici regardent le train s’approcher et s’accommodent du bruit.
C’est la «trop petite part de gâteau» qui revient aux auteurs, en règle générale, qui a encouragé Guy Langlois à choisir l’autoédition numérique. «Avec les maisons d’édition, l’éditeur prend sa part, le correcteur prend la sienne, le diffuseur aussi et le libraire en redemande avec de la crème glacée sur le dessus. Au final, l’auteur récolte la croûte un peu brûlée», image le romancier de 23 ans. Les éditeurs traditionnels offrent normalement 10% des revenus de la vente d’un livre papier à l’auteur et 25% pour un livre numérique, confirme le président de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), Jean-François Bouchard. La plateforme web de Guy Langlois lui permettrait d’offrir plus de 80% de redevances aux auteurs qui feront appel à ses services.
Il faut toutefois prendre en compte que les livres numériques se vendent moins chers que les livres papiers, rappelle le président de l’ANEL. Les livres numériques en vente sur le web se vendent rarement en haut de 5 $, alors qu’un livre papier se vend généralement plus de 15 $. Il faut vendre beaucoup de livres numériques pour espérer faire des profits intéressants, constate-t-il.
Les histoires d’autoédition numérique couronnées de succès sont rares. Le quotidien anglais The Guardian rapportait récemment que 10% des auteurs qui s’autoéditent sur le web remportent 90% des profits de ce marché. Curieusement, la majorité des auteurs dont les ouvrages sont devenus des bestsellers de cette façon ont rapidement choisi de faire appel à un éditeur pour leurs prochaines publications. C’est le cas d’E.L. James, l’auteure de la série Fifty Shades of Grey, et du journaliste sportif Kerry Wilkinson dont les livres autoédités se sont vendus à des millions d’exemplaires.
Les auteurs qui se sont autoédités avec succès s’avèrent une véritable mine d’or pour les maisons d’édition. C’est comme un salon de coiffure qui cherche à embaucher une coiffeuse qui apporterait dans ses bagages une horde de clients. Les éditeurs américains sont ravis de prendre sous leur aile des auteurs qui ont déjà un grand bassin de lecteurs.
Le train n’attend pas les retardataires
Prises au dépourvu, plusieurs maisons d’édition américaines ont dû fermer leurs portes lorsque leur clientèle a pris le chemin de l’autoédition numérique. Pour reprendre le contrôle avant que le train déraille, de grandes maisons d’édition comme Penguin et Harper Collins ont commencé à se livrer bataille pour acheter les populaires plateformes d’autoédition et récupérer une partie des profits.
Même son de cloche du côté du président de l’ANEL. «L’autoédition a toujours existé avec le livre papier et n’a jamais vraiment fait concurrence aux maisons d’édition», souligne-t-il. Par le passé, des écrivains québécois, comme Réjean Ducharme et Anne Hébert, ont eu beaucoup de succès en autoéditant leurs propres romans papiers.
Les éditeurs du Québec s’entendent pour dire que l’expertise des maisons d’édition est garant de leur survie. «Le travail que fait l’éditeur en collaboration avec l’auteur représente une valeur ajoutée à l’ouvrage», affirme Jean-François Bouchard. Le travail d’édition, de correction, de mise en page et de publicisation derrière la parution d’un livre sont tous des domaines de spécialisation des éditeurs, élabore-t-il. Guy Langlois déplore cette incursion dans le travail d’écriture. «Avec l’autoédition, l’auteur garde le contrôle de son travail. Autrement, l’éditeur peut changer le titre, les paragraphes s’il le veut », argumente le jeune homme.
Pour le président de l’ANEL, la maison d’édition professionnelle est aussi un sceau de qualité. «Quand un éditeur engage sa marque, il engage sa crédibilité. Il a intérêt à ce que le livre soit bon», plaide-t-il en soulignant l’importance que représente l’œil extérieur neutre sur un texte. À ce sujet, Guy Langlois fulmine. Selon lui, il importe de briser le mythe qu’un livre autoédité est un livre qui a été rejeté par les maisons d’édition traditionnelles.
Guy Langlois ne sait pas si le succès sera au rendez-vous pour son livre et sa maison d’édition virtuelle. Mais plutôt que de rester en gare, il a décidé de monter dans le train en marche, quitte à ce que les maisons d’éditions partent en vacances prolongées.
Illustration : Gabriel Germain
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