Plusieurs fervents utilisateurs de téléphones cellulaires vont jusqu’à halluciner la sonnerie de leur appareil. La peur inextricable de se retrouver sans portable leur donne des sueurs froides.
Posé à sa droite sur la table, le cellulaire de Stéphanie vibre pratiquement chaque minute. Impossible pour elle de ne pas jeter un regard furtif au message qu’elle vient de recevoir. Accro sans scrupules, selon ses termes, la jeune étudiante fait partie de ceux qui n’envisagent plus leur vie sans téléphone portable. «Il y a des jours où je voudrais le lancer par la fenêtre, mais sincèrement, je ne crois pas en être capable», confie-t-elle. Savoir son téléphone loin d’elle la rend irritable et anxieuse. La «nomophobie» – diminutif français de no mobile phone phobia – serait l’expression de cette société bousculée par l’arrivée des téléphones portatifs.
Une enquête menée par le UK Post Office en 2008 montre qu’un propriétaire de cellulaire sur deux est fortement angoissé lorsqu’il ne lui est pas possible de l’utiliser. Chez les 18-24 ans, ce sentiment d’inconfort touche trois personnes sur quatre. Même si elles sont inquiétantes, ces statistiques sont encore insuffisantes pour poser un diagnostic médical, selon la professeure agrégée en toxicomanie de l’Université de Sherbrooke, Magali Dufour. «Le cellulaire est un phénomène social récent et l’effet de nouveauté fait toujours un peu peur. Il ne faut pas sauter aux conclusions trop rapidement en croyant dur comme fer qu’il y a un enjeu plus sérieux derrière.» Bien qu’elle ne nie pas le malaise, la professeure spécifie que plusieurs années d’étude pourraient être nécessaires afin d’établir un réel pronostic.
Pour la spécialiste, les conséquences psychologiques qu’éprouve un «nomophobe» ne sont pas comparables à un trouble de dépendance ou à une phobie. L’isolement et le désinvestissement social sont cependant des signes précurseurs d’un réel problème et non pas d’une simple anxiété. Celle qui est aussi membre de l’Institut universitaire sur les dépendances y distingue le développement d’une mauvaise habitude sociale. «Nous ne nous sommes pas encore donnés de règles en société. Les gens doivent apprendre à utiliser le cellulaire de la bonne façon et doivent comprendre qu’il n’est pas essentiel de constamment l’avoir sur soi.»
Sans toutefois s’alarmer, Stéphanie est consciente de la relation problématique qu’elle entretient avec son téléphone. Elle ne peut pas partir à l’école sans son cellulaire. Si elle l’oublie, elle doit faire marche arrière. Pour la doctorante en psychologie de l’éducation, Catherine Légaré, la vitesse imposée par cette technologie explique ce genre d’agissements. «Les vies se développent de façon très rapide autour de ces outils. L’instantanéité prime en tout temps et c’est un peu de là que proviendrait le caractère addictif».
Cinq ans après sa mise en marché et l’adoption massive par la clientèle, le téléphone intelligent est mis au banc des accusées par l’étude du UK Post. Catherine Légaré relie clairement son utilisation à l’arrivée de la nomophobie et à une hausse drastique de l’anxiété. Freiner cette tendance sera difficile, alors que les détenteurs canadiens de ce type d’appareil représentaient 45% de tous les utilisateurs du téléphone mobile au pays en 2011, selon le Centre francophone d’informatisation des organisations.
Conscientisation en cours
La chercheure en psychologie de l’éducation, Catherine Légaré, perçoit le début d’une conscientisation aux effets néfastes de cet usage. Une fois l’effet de nouveauté estompé, elle croit que les gens retrouveront le bon sens face à leurs gadgets. «Les gens vont s’habituer et vont trouver le comportement qui leur convient.» Elle estime que ce phénomène devrait inévitablement se reproduire dans le cas des téléphones intelligents. Pour Stéphanie, le cheminement vers la conscientisation sera laborieux, bien qu’elle consente à faire des efforts. D’ici là, son téléphone restera en tout temps allumé, même la nuit, tout près de son oreiller.
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Outil de mobilisation
L’appareil intelligent a poursuivi la mutation de la communication déjà enclenchée. Elle possède désormais un aspect plus rassembleur qu’il ne faut pas négliger. «Les médias sociaux et le mobile ont servi d’outils pour que des individus puissent s’organiser ensemble. Ça a permis à des gens qui ne se connaissent pas de se synchroniser et de mettre au point des actions collectives», résume la coordonnatrice du Groupe de recherche et d’observation sur les usages et cultures, Mélanie Millette. Pour elle, l’émergence d’actions collectives spontanées, comme les flashmobs, a été rendue possible grâce à l’aspect «facilitateur» de ces technologies.
Illustration: Andrée-Anne Mercier
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