Leur expérience professionnelle n’a d’égal que leurs cheveux gris. Mais dans le nouveau marché de l’emploi, des quadragénaires doivent refaire leurs classes pour gravir les échelons.
Sylvain Fortier, 46 ans, est étudiant au baccalauréat en journalisme à l’UQAM. Malgré ses 11 années d’expérience en radio communautaire, un diplôme manquant l’a empêché d’obtenir un emploi d’animateur à la radio d’État. «J’ai compris que pour avancer dans ma carrière et avoir de meilleures conditions de travail, il me faut un baccalauréat, donc me voilà!» Face à l’augmentation de la scolarisation, de l’offre et des exigences sur le marché de l’emploi, beaucoup d’adultes retournent comme lui sur les bancs d’école où ils font face à de nouveaux défis.
Le professeur du département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM Denis Morin a constaté ce phénomène depuis plusieurs années. L’ancienneté n’est plus le principal facteur permettant de graver les échelons. La scolarisation est à la base de la sélection et de nouveaux critères ont été établis. «On demande aussi un savoir-faire et savoir-être. Les gens qui appliquent pour des postes de haut niveau doivent souvent passer des tests cognitifs, des tests de personnalité», explique-t-il. On peut développer ces qualités avec l’expérience ou à l’université, selon le professeur, mais il admet que plusieurs employeurs valorisent les études universitaires au détriment de l’habileté technique.
Le spécialiste des ressources humaines constate aussi de l’âgisme sur le marché de l’emploi. À compétences similaires, entre un jeune sorti tout droit des bancs d’école et un homme d’âge mûr, c’est souvent le premier qui obtient l’emploi. «Ça devrait être le contraire, car la population active vieillit. On travaille jusqu’à 70 ans maintenant et ça va continuer à être comme cela. Il faut que les entreprises constatent cette nouvelle réalité.»
Les «hors-champ»
En attendant, cheveux gris ou non, les adultes qui vivent une situation comparable à celle de Sylvain Fortier choisissent de se mêler aux jeunes fringants du milieu universitaire, qui ont parfois l’âge de leurs propres enfants. Et ce nouveau monde n’est pas sans obstacles.
À son entrevue de sélection pour le programme de journalisme, Sylvain Fortier n’est pas passé inaperçu. Des finissants présents lui ont avoué qu’ils n’avaient jamais vu d’étudiants de son âge dans le programme. «En plus, mon expérience n’avait pas l’air d’intéresser ceux qui ont fait mon entrevue. J’étais intimidé», avoue-t-il.
Une fois admis, celui qui se croyait à l’affût de la technologie s’est senti «hors-champ» en entrant dans une classe remplie de téléphones intelligents. Lorsqu’est venu le temps de former des équipes, les étudiants n’étaient pas tous à l’aise d’aller vers un homme plus âgé. «J’arrive dans le programme de journalisme et je suis le seul vieux. C’est correct, je suis ouvert d’esprit et certains étudiants aussi, mais en même temps, on ne se cachera pas qu’il y a une certaine dichotomie.»
Même sa sagesse est parfois un handicap pour lui, à sa grande surprise. «J’arrive à l’université dans un cours d’histoire. Je suis allumé, j’ai le goût de faire une discussion, mais j’ai remarqué que ça n’intéresse pas nécessairement les autres. J’ai une grande gueule, je fais de la radio! J’ai appris à doser.» De plus, il trouve dommage que son expérience ne soit pas mise au profit des autres étudiants. «Je n’ai pas vraiment été accueilli. Il y a des choses que je pourrais faire pour aider mes collègues, mais ce que je reçois, c’est un gros “Ouin, pi?”. Je trouve que l’approche de l’UQAM est assez bancale.»
S’il avait été aux ressources humaines de Radio-Canada, le professeur Denis Morin avoue qu’il se serait montré plus flexible pour un cas comme celui de Sylvain Fortier. «Pour quelqu’un qui a 11 ans d’expérience en radio, j’aurais indiqué que le certificat suffit.» Il comprend qu’en matière d’équité, la société veuille mettre les mêmes exigences pour tout le monde, mais il croit tout de même qu’il faut analyser les dossiers de façon plus nuancée.
Après une pause d’une session, Sylvain Fortier est déjà en manque de radio. Il prévoit renouer avec sa passion à l’automne prochain. «Pour l’instant, je me concentre sur mon retour aux études.» Dès que son curriculum vitae sera garni d’un diplôme supplémentaire, il tentera une nouvelle fois d’entrer à Radio-Canada. Celui qui a animé des émissions de radio de Montréal à Iqaluit reste toutefois ouvert aux nouvelles avenues que sa formation universitaire lui fera découvrir et il profitera des stages pour mettre les pieds dans la grande boîte.
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Communauté de trentenaires
À l’Université de Montréal, la plupart des étudiants adultes font partie d’une faculté à part: celle de l’éducation permanente. «Elle regroupe 7000 adultes dont l’âge moyen est de 33 ans. Trente pourcent d’entre eux possédaient déjà un diplôme universitaire, mais retournent aux études vu la difficulté du marché de l’emploi», explique Claude Garon, recherchiste et rédacteur pour l’Association générale des étudiants et étudiantes de la faculté permanente de l’Université de Montréal. Une trentaine de programmes de certificat leur sont offerts et ils peuvent obtenir un baccalauréat par cumul. Bientôt, ils pourront suivre un diplôme d’études supérieures spécialisées.
Un baccalauréat, un emploi
Les données du marché du travail confirment qu’actuellement, un diplômé met plus de chances de son côté. Selon des données de l’Enquête sur la population active de Statistique Canada de 2011, au Québec, le taux d’emploi des individus possédant au moins un baccalauréat est de plus de 70%.
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