Les rythmes entraînants contrastent avec la langueur qui semble gagner la scène reggae québécoise. Mais plusieurs artistes tentent d’éveiller l’intérêt en pimentant le style musical à la sauce locale.
Soirée reggae au centre-ville de Montréal. Une odeur de ganja enveloppe la foule. Les dreads se secouent, tous bords, tous côtés. Les rythmes aux accents caraïbéens envahissent l’espace. Trente ans après sa mort, l’âme de Bob Marley plane au-dessus des musiciens chantant l’amour et l’unité. L’ambiance euphorique qui règne dans la salle ne laisse pas présager que le ciel s’obscurcit pour la scène reggae québécoise.
Pourtant, elle périclite depuis les 20 dernières années. Les bars ferment, les soirées à thématique reggae se font rares et les groupes se scindent. Les derniers remparts sont des événements comme le Festival reggae de Montréal et son équivalent rural, le Reggae Bash. Ce sont aussi des lieux, comme le bar-spectacle House of reggae qui offrait des concerts chaque soir, jusqu’à sa fermeture temporaire en juillet dernier. Sa réouverture est prévue pour novembre dans de nouveaux locaux plus grands et mieux situés. Quelques émissions de radio étudiante, dont Riddimwise à CISM et Lumière reggae sur les ondes de CHOQ FM, tentent à leur façon de garder la scène vivante.
«Ce n’est pas fort le reggae ici. Les bands locaux, on n’est rien», déplore le leader du groupe Blood of Zion, Christopher «Benta» Anderson. Pour changer la donne, le coloré musicien d’origine jamaïcaine avait fondé l’Association du Reggae Montréalais/Montreal’s Union for Reggae (ARMMUR). Son syndicat est sur la glace pour l’instant: problèmes d’argent.
Le propriétaire de la House of reggae montre d’ailleurs du doigt le manque de structure pour expliquer la débâcle du reggae dans la province. «L’intérêt du public est grand, mais le mouvement n’est pas organisé», croit Cezar Brumeanu. D’autres analysent le problème avec philosophie. Le suicide d’André Fortin, chanteur des Colocs, y serait pour beaucoup. Le mythique groupe avait popularisé le style musical à travers sa chanson Tassez-vous de d’là, que tous avaient sur les lèvres en 1998. «Quand il est mort, je me souviens de m’être dit qu’on venait de perdre le filon qui allait faire passer le reggae au Québec», se souvient le batteur de la formation montréalaise Root Steppers, Richard Marescot.
Étrangers en leur pays
Pendant que la scène s’essouffle, les francophones qui veulent percer dans le milieu récoltent des miettes. «Le mouvement reggae au Québec reste dans le cercle jamaïcain anglophone», déplore amèrement le coanimateur de l’émission Lumière reggae, TiFabyo.
Le Festival reggae de Montréal ne fait pas exception. «Il devrait être rebaptisé le Festival jamaïcain», ironise Phil Messier du groupe québécois Mad’moizèle Giraf. Les quelques artistes locaux invités viennent pour la plupart du pays de Bob Marley et ne parlent pas un mot de français. «Quand les organisateurs nous font jouer, c’est pour boucher des trous dans l’horaire», ajoute le chanteur en riant. L’absence de francophones n’aide pas le reggae à se tailler une place dans la Belle Province, selon TiFabyo. «Pour toucher une population, il faut savoir s’adapter à sa réalité», s’exclame-t-il.
«Le problème, c’est que les Jamaïcains sont bornés», croit le flamboyant chanteur de Blood of Zion, Christopher Anderson. Ils considèrent rarement le reggae qui ne vient pas de chez eux.» Le constat est d’autant plus surprenant qu’il sort de la bouche de celui qui a inspiré J’aime mon voisin, une chanson aux sonorités reggae des Frères à ch’val. Le voisin jamaïcain chanté par la formation québécoise, c’est lui.
Difficile pour les artistes reggae du Québec de se faire valoir dans un tel contexte.
Malgré les écueils possibles, quelques-uns plongent dans l’aventure. L’important pour eux est de se démarquer et de réinventer le genre. «Je ne veux pas dire la même chose que certains couillons jamaïcains qui propagent des messages homophobes et sexistes», lance avec énergie l’ancien bassiste des Colocs, Vander, devenu pilote du Bass Ma Boom Soundsystem. Même son de cloche pour le duo Mad’moizèle Giraf. «Nous faisons du reggae de party. Nous ne voulons pas être moralisateurs et nous ne prônons pas une religion, contrairement à quelques groupes de Jamaïque», explique Phil Messier.
Sa formation a eu l’idée d’ajouter une touche bien de chez nous à ses compositions: des cuillères. Le résultat est à mi-chemin entre la musique traditionnelle d’ici et les rythmes de l’île antillaise. «Le reggae, c’est une épice et notre groupe fait de la poutine très épicée», rigole le musicien originaire de l’Estrie. Il n’est pas le seul à avoir une vision interculturelle du style musical. «Transposer le message québécois au reggae a été vraiment facile, assure le membre du groupe La Playade, André Ladouceur alias Général Shiloh. Le fond de ma musique, j’appelle ça des rigodons.»
En dépit de tous les efforts pour faire résonner le reggae au Québec, la province fait figure de parent pauvre. «C’est la pire place au monde où être, se désole le fondateur du Reggae Bash, Jah Lex. Ceux qui en jouent le font par amour, pas pour les sous.» L’ancien Coloc va pour sa part beaucoup plus loin. La Belle Province ressemble plus à un no man’s land, selon lui. «Je crois qu’on se monte le chou avec quelques exemples de succès, conclut Vander. Je ne pense pas qu’il y ait une scène reggae au Québec et je ne crois pas qu’il y en aura une avant un bon moment.»
Photo: Myriam Lemay-Gosselin
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