Les cours offerts à l’ESG en anglais continuent de déchirer les étudiants qui les suivent et la politique de langue française à l’UQAM. Entre deux idéologies, les étudiants étrangers qui ne parlent pas français peinent à trouver leur place.
Karla Hernandez, étudiante mexicaine en échange à l’École des sciences de la gestion (ESG), s’assoit à une table de la cafétéria. Dans ses mains, un formulaire d’inscription chiffonné pour des cours récréatifs de conversation en français, près de l’appartement qu’elle loue pour la session. Grâce aux échanges internationaux prévus entre l’Universidad Autonoma de Aguascalientes, au Mexique, et l’ESG de l’UQAM, l’aspirante enseignante peut suivre une ou deux sessions en anglais à moindre coût. Quelque chose la chicote toutefois: à l’exception de la personne qui fait son entrevue, personne ne veut lui parler en anglais. Selon la politique uqamienne sur la langue de travail, on parle français à l’UQAM. With no exception.
Depuis son inscription, elle s’est heurtée à plusieurs refus langagiers de la part du personnel, dont au registrariat, où une employée lui a fait la morale. «On m’a demandé pourquoi j’allais à l’UQAM si je ne parlais pas français. Elle m’a fait comprendre que je devais le parler pour rester, raconte-t-elle, découragée. Je comprends un peu le français, mais on me parle trop vite.»
Cette situation n’étonne pas le président de l’Association étudiante de l’École des sciences de la gestion (AEESG), Andrew Lockhead. «Un étudiant du Chili, par exemple, ne va pas apprendre le français pour une ou deux sessions, souligne-t-il. Les étudiants à l’étranger viennent surtout ici pour vivre à Montréal.» Benoît Bazoge, vice-doyen aux études de l’ESG, indique que le Service de soutien à l’international (SSI), qui offre de l’aide en anglais, existe justement pour ces étudiants non francophones. «Nous sommes bien conscients de ce problème de communication, admet-il. La langue de travail à l’UQAM reste le français et nous ne pouvons rien y faire, d’où cette offre de services propre à l’ESG.»
Avant tout, il a fallu trouver des moyens pour attirer ces étudiants étrangers. L’UQAM s’était fait reprocher le manque de mobilisation internationale et devait se conformer dans un délai de trois ans pour recevoir la prestigieuse accréditation European Quality Improvement System (EQUIS). En septembre 2009, l’ESG a donc pris la décision d’offrir six cours de première année en anglais. «L’accréditation EQUIS est prestigieuse et nous classe parmi les 120 meilleures écoles de gestion au monde, explique Benoît Bazoge. Nous avons de la pression de la part de l’organisation, qui ne comprend pas pourquoi nous n’offrions pas de programmes bilingues.»
ll se réjouit d’ailleurs des échanges internationaux qui ne cessent de croître depuis l’avènement des cours en anglais. L’ESG crée de plus en plus de partenariats avec des institutions à travers le monde. L’école de gestion a réussi à plus que doubler le nombre de 2009 à 2011, pour arriver à 85 partenariats dans des institutions à travers le monde. Malgré l’augmentation des échanges, les étudiants se font rares. Selon Benoît Bazoge, 186 de ces étudiants sont inscrits en échange au premier cycle, alors que le département peut en accueillir près de 320.
Le Syndicat des professeurs et professeures de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ) voit en cette accréditation une entrave au déploiement de la langue française. «Ça laisse la porte ouverte pour les abus, dénonce Michel Laporte, premier vice-président du syndicat. Si on accommode tout le monde, on craint l’épidémie des cours en anglais. Nous devons préserver notre langue et notre culture.»
La Politique 40, article 6.3b, qui stipule que «l’offre de cours au premier cycle dans une autre langue que le français se justifie dans la mesure où elle s’adresse en priorité aux étudiants hors Québec» se heurte à la volonté du syndicat. «S’il y a une entente avec une institution étrangère, il est normal que les étudiants aient droit à des cours en anglais, rétorque Jean-Marie Lafortune. Mais les cours compromettent la mission de l’UQAM, soit d’enseigner en français.» Il ajoute que d’autres institutions à Montréal offrent des cours qui suffisent à la demande, au besoin. «Les étudiants qui veulent étudier en anglais n’ont qu’à aller à McGill ou Concordia», répète-t-il.
L’anglais, la langue des affaires
La langue de Shakespeare n’est pas seulement pour les étudiants étrangers. Selon Benoît Bazoge, les étudiants de l’ESG ont fait pression pour avoir des cours en anglais, qui les aident à réussir le Test of English for International Communication (TOIEC), obligatoire pour l’obtention du diplôme. Chaque année, l’échec de cet examen d’anglais oblige de 20 à 30 élèves par année à suivre des cours de soutien en anglais durant l’été qui suit, retardant ainsi leur baccalauréat. «Il est primordial de parler anglais en gestion. C’est la langue des affaires, rappelle le président de l’AEESG Andrew Lockhead. Ne pas être bilingue est problématique.»
Maintenant, l’Université du peuple offre 24 cours en anglais par année et un cours en espagnol, «une goutte d’eau» dans les 1 800 cours offerts à l’ESG, selon Benoît Bazoge. Le SPUQ a déposé un grief en octobre 2009 pour contester les cours en anglais autres qu’à l’École de langues. Le jugement a été rendu le 30 juin 2011, dans lequel l’arbitre, Me André Ladouceur, a rejeté la demande du SPUQ. Selon lui, il faut différencier la langue de travail de la langue d’enseignement.
Il n’y aura pas de retour en arrière pour l’ESG. Selon eux, les cours en anglais sont là pour rester. Entre-temps, les étudiants étrangers subissent les revers de la Politique 40. «J’ai pris un risque, admet Karla Hernandez. Je ne pensais pas que le fait de ne pas parler français allait poser problème. Mais là, je regrette mon choix.»
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Le comité-fantôme
La loi 101, ou Charte de la langue française, prévoit un comité de la langue française dans chaque université au Québec. Le comité avait été délaissé depuis plusieurs années en raison des difficultés financières de l’UQAM, mais a repris vie après la création des cours en anglais à l’ESG, à l’automne 2009. «Notre objectif était de mieux encadrer cette récente pratique», explique Robert Bédard, ancien président du comité. Depuis, la Commission des études et le Conseil d’administration de l’UQAM réévaluent les cours chaque année.
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