Saint-Valentin 2009. Assise dans l’autobus 45, celui qui descend l’avenue Papineau (non, je ne suis pas en train de me rendre malade à manger seule et compulsivement des petits cœurs à la cannelle bon marché), je regarde les édifices défiler. Soudain, que vois-je? Est-ce un oiseau, est-ce un avion, est-ce un satellite? Non! C’est une vingtaine de répliques de Guy Fawkes (le personnage masqué dans le film V pour Vendetta) manifestant devant les locaux de l’Église de scientologie. Il s’agit du groupe Anonymous. Notre journaliste Christopher Young vous en avait glissé un mot dans son article «Et tombent les masques» dans le dernier numéro de Montréal Campus.
Mais diantre! Que font-ils tous masqués alors que la Ville de Montréal a décidé au début du mois d’interdire le port de tout objet couvrant le visage lors de manifestations se déroulant dans la métropole? N’écoutant que mon instinct journalistique de fin de semaine, je me suis ruée sur Internet aussi vite que possible pour le découvrir. Réponse troublante? Pas vraiment. En fait, le vote sur le fameux amendement à la loi P-6 sur la prévention des troubles de la paix, de la sécurité et de l’ordre public (celui qui devait interdire les masques) ne devait se tenir que le 23 février. Et, coup de théâtre – bon, pas vraiment, je vous l’accorde – la Ville de Montréal a décidé de repousser ce vote et de renvoyer le projet devant la Commission de la sécurité publique jusqu’à ce que les imprécisions de l’amendement soient corrigées.
Car imprécisions il y avait. Même le responsable de la sécurité publique de la Ville, Claude Dauphin, l’a reconnu, et ce, après de nombreux échanges avec divers groupes
opposés au règlement. Pour reprendre les mots de mon collègue Young: «Si le règlement en fait sourciller plusieurs, c’est notamment en raison de son manque de clarté. Le texte mentionne l’interdiction de porter “cagoules, masques, et autres façons de se masquer le visage”, mais un flou persiste quant à sa mise en œuvre.» Des groupes comme la Ligue des droits et libertés, le Centre de recherche-action sur les relations raciales et le Conseil central de Montréal de la CSN s’étaient opposés, avec raison, à l’amendement. En plus de restreindre la liberté d’expression des manifestants, ce dernier risquait en effet de donner un pouvoir discrétionnaire trop important aux policiers dans leurs interventions. Le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), à l’origine du projet, avait d’ailleurs promis que le règlement serait appliqué selon le «gros bon sens» des agents.
La décision de la Ville ne semble cependant satisfaire aucun des camps. Les groupes de pression auraient souhaité un abandon complet de l’amendement, alors que le SPVM craint un «report aux calendes grecques» de son vote, situation inacceptable selon le président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francœur (La Presse, le samedi 21 février 2009). Pourtant, c’est probablement la meilleure décision que le Comité exécutif pouvait prendre. Il se fera ainsi une tête sur le projet – ce qui ne semblait pas avoir été le cas jusqu’ici – en évaluant plus scrupuleusement les impacts sociaux et démocratiques de ce dernier et en en précisant les modalités d’intervention des agents du SPVM. Et pourquoi ne pas écouter l’Opposition officielle de Benoît Labonté, qui réclame une séance publique de la Commission de la sécurité publique sur la question? Entendre les citoyens sur un projet aussi contentieux saurait préciser le portrait de la situation, en plus de donner une occasion au maire de se montrer attentif aux revendications de ses électeurs.
Le SPVM a l’expérience des manifestants cagoulés récalcitrants et violents. Il faut en tenir compte et lui donner des moyens clairement définis pour intervenir auprès de ces derniers, avec, pour les soutenir, des éléments dissuasifs convaincants. Cependant, il ne faut pas pour autant brimer le droit de la population de s’exprimer et de manifester pacifiquement, sans nécessairement être identifiable. Et si cela implique de se couvrir le visage, comme pour les mini-Guy Fawkes opposés à l’Église de scientologie, la Ville devra en tenir compte avant de mettre les masques en rade.
Dans ce dossier c’est Montréal qui doit faire preuve de «gros bon sens». Espérons que ce sera le cas.
societe.campus@uqam.ca
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