J’ai toujours été une plaie dans les sports d’équipe. Surtout au primaire. Ma tête attirait les ballons, je manquais les passes, marquais des buts dans mon propre filet. Comble du malheur, j’étais une fille, vous savez, cette sous-race que les mini sportifs exècrent? J’étais fuie comme la peste par les chefs d’équipe – même féminines – au gymnase. Revendicatrice en herbe, je m’étais rendue au bureau du professeur en compagnie de quelques autres calamités sportives pour demander à ce que garçons et filles soient choisis en alternance. J’aurais ainsi une chance de ne pas demeurer assise jusqu’à la fin du repêchage. Le professeur en avait alors profité pour rappeler à la classe que nous étions tous égaux et que les chefs devaient respecter ce principe, sans quoi ils perdraient leur privilège. Remarquez, il aurait très bien pu répondre: «C’est votre faute, vous aviez juste à mieux négocier entre vous.»
Quel mauvais professeur aurait-il été! Pourtant, c’est ce genre d’attitude que le premier ministre du Canada, Stephen Harper, a décidé d’adopter récemment avec le dépôt d’un projet de loi sur l’équité salariale dans le secteur public. S’il est adopté, le projet de loi rendrait conjointement responsables les parties négociantes et les parties patronales dans le processus de négociation collective devant aboutir à l’élaboration d’une politique salariale équitable pour tous les employés syndiqués du secteur public. Belle absurdité. Certes, les syndicats ont leur rôle à jouer dans toute cette lutte à l’iniquité, mais comment peut-on assumer qu’ils pourraient être aussi responsables que celui qui tient le gros bout du bâton (les cordons de la bourse) dans l’établissement d’une rémunération juste? C’est occulter le ravin qui sépare les deux parties.
Sans aller aussi loin que l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), pour qui «les conservateurs se servent de l’équité salariale pour punir les femmes du secteur public fédéral» (lors d’une cause portée devant le Tribunal des droits et de la personne canadien, l’AFPC avait obtenu, en 1999, pour plus de 4 milliards de dollars en ajustements et intérêts pour ses 200 000 membres), il est justifié de s’inquiéter des conséquences que pourrait entraîner un tel projet sur le respect des droits des travailleuses, qui occupent maintenant près de 50% des postes de haut niveau du secteur public. Les partis de l’opposition, en élèves soucieux de justice, avaient d’ailleurs soulevé ce point à leur «prof d’éduc», Stephen Harper, lors du dépôt de son énoncé économique en novembre dernier. «Les droits ne se négocient pas», avaient-ils alors déclaré.
Car le projet de loi propose également une déjudiciarisation du processus de plaintes, long et souvent très coûteux (apparemment encore plus dans un contexte économique). Ainsi, si le projet devait être adopté, la Commission canadienne des droits de la personne serait soulagée des plaintes concernant l’équité salariale dans le secteur public. Elles devraient maintenant être adressées à la Commission des relations de travail canadienne. Fini les tribunaux. Un drôle de virage quand on sait que le nouveau président des États-Unis – chez qui la crise économique est drôlement plus ressentie qu’ici – a choisi de faciliter le recours aux procédures judiciaires dans ce genre de cas. C’est d’ailleurs la première loi à avoir été promulguée par Barack Obama.
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Un processus plus efficace, plus rapide et proactif: des objectifs louables en soi, mais des moyens pour y arriver discutables. Des dispositifs semblables existent bien en Ontario et au Québec (la Loi sur l’équité salariale prévoit en effet que les entreprises québécoises se plient à un exercice d’équité, alors que les litiges sont tranchés par une Commission indépendante plutôt qu’en cour). Cependant, aucune des deux provinces n’a fait fi du pouvoir prédominant du patron dans les négociations et donc, de sa responsabilité plus grande en cas de litige.
Mais Stephen Harper n’a jamais prétendu être un bon professeur. Et à voir la façon athlétique dont il levait la jambe devant Bonhomme à l’ouverture du Carnaval de Québec, fin janvier, tout porte à croire qu’il n’a jamais attendu bien longtemps avant d’être pris dans une équipe.
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