Montréal enfile ses jarretières

L’art burlesque à Montréal

Les paillettes et les plumes sauront-elles émoustiller à nouveau les Montréalais après presque trois quarts de siècle d’abstinence de burlesque? Artistes et propriétaires tentent de remettre le glamour et la frivolité d’antan sous les projecteurs de l’Île.

Photo:Courtoisie de Eva Blue

Difficile d’imaginer que Montréal aguichait autrefois le reste de l’Amérique du Nord. Au milieu du 20e siècle, les cabarets régnaient en grands maîtres sur la Main, les effeuilleuses volaient la vedette et les paillettes brillaient de mille feux dans la métropole. Les défenseurs de l’art burlesque provocant et sensuel tentent de faire renaître de ses cendres cette partie de l’histoire… à leur manière.

Scarlett James, actrice-danseuse et fondatrice du Festival burlesque à Montréal, rêve du jour où Montréal retrouvera la folie et la splendeur du burlesque des années 30, 40 et 50. «Le théâtre et le cinéma, ça m’ennuie terriblement, se lamente-t-elle. J’ai toujours aimé m’habiller pour sortir. Le jeans et le t-shirt, je suis pu capable! Quand je sors, je veux pouvoir discuter avec les gens tout en regardant un bon spectacle.»

La voluptueuse blonde a décidé de faire revivre les soirées de cabaret à Montréal grâce à son festival qui célèbre la femme, les froufrous et les plumes depuis maintenant deux ans. «Beaucoup de pays avaient leur festival du burlesque, mais pas Montréal, lance-t-elle. Je voulais quelque chose de vraiment glamour, de moins underground. Bref, remettre Montréal sur la map.»

Numéros de variété, cirque, humour, champagne et, le clou de la soirée, les effeuilleuses venues des quatre coins du monde: autant de diversité dans une soirée où la participation du public est requise. Ces spectacles, qu’elle qualifie de «bonbons pour les yeux», font voyager les gens dans le temps. «Je veux amener le public à rêver à chaque bout de vêtement enlevé, qu’ils ouvrent leur soupape et se lâchent lousse», s’exclame l’artiste et femme d’affaires.

Sous les jupons du burlesque

L’art burlesque a débuté en Europe vers la fin du 19e siècle et a traversé l’Atlantique quelques années plus tard pour s’installer principalement boulevard Saint-Laurent à Montréal. L’aguichante Lili St-Cyr, une icône dans l’univers burlesque, tient même l’affiche dans les cabarets montréalais pendant plusieurs années. Pierre Anctil, professeur d’histoire à l’Université d’Ottawa et auteur du livre Saint-Laurent, la Main de Montréal, explique que le burlesque était un art dénonciateur qui se moquait du pouvoir dans des spectacles souvent improvisés. Contrairement à l’art classique, ses artisans n’étaient pas formés dans les grandes écoles et critiquaient la société à travers la sexualité et des mises en scène crues comme grossières.

À Montréal, au début du 20e siècle, l’alcool coulait à flot et les mœurs étaient reconnues pour être libérales. «Le boulevard Saint-Laurent est devenu une plaque tournante au Canada et Montréal a gagné la réputation d’être hors de tout contrôle social par l’Église et la police», affirme Pierre Anctil. La ville s’est transformée en attraction pour les Américains sous le joug de la prohibition. L’historien fait remarquer qu’entre 1919 et 1933, l’alcool n’était pas en vente libre aux États-Unis. «Montréal, qui était associé aux paris, à la prostitution, aux jeux et aux effeuilleuses, attirait un public vaste en Amérique du Nord.»

À partir de 1950, le burlesque a laissé sa place à d’autres formes d’art et surtout à la télévision. «La télévision a beaucoup désintéressé les gens de l’art de la scène, soutient le professeur. Avant, il fallait se déplacer pour se divertir. Maintenant, les gens peuvent le faire dans le confort de leur salon.»

Le RedLight, concentré sur le boulevard Saint-Laurent et la rue Sainte-Catherine, a ensuite été amputé, sous les administrations de Jean Drapeau et de Maurice Duplessis, pour faire place aux Habitations Jeanne Mance et aux autoroutes. «Avant, Montréal était Las Vegas, affirme Scarlett James, un brin nostalgique. On y trouvait énormément de cabarets et de clubs. Aujourd’hui, il n’y en a plus, tout a été détruit.»

Le néo-burlesque

Les lieux inspirés du burlesque se font aujourd’hui rares à Montréal. Cependant, certains endroits évoquent cette époque de perdition. La brasserie parisienne le Pois Penché est l’un d’entres eux: bouteilles de Veuve Clicquot, verres de cristal, sièges en velours bourgogne et toiles inspirées du Moulin Rouge à Paris. Il n’en faut pas plus pour se sentir dans un bistro français des années 1910 où la convivialité côtoie le chic. «On a voulu créer un style français où le glam domine. Le concept est spécial et unique à Montréal», indique Zina Rahman, directrice des ventes du restaurant.

Le professeur Pierre Anctil croit fermement que le burlesque tel que les Montréalais l’ont connu au milieu du 20e siècle ne reviendra jamais dans la métropole. Pourtant, le phénomène semble gagner en popularité dans les grandes villes comme Las Vegas, Paris, San Francisco et Toronto. «Les spectacles d’envergure présentés à Las Vegas devant un auditoire de 2000 personnes ne représentent pas du tout le même esprit de débauche du burlesque d’avant, constate Pierre Anctil. Il n’y a plus la même intensité ni la même frivolité.» Il ajoute qu’aujourd’hui, un retour vers l’authentique burlesque choquerait les gens. Comme les modes, l’art burlesque tente de réintégrer la société en s’adaptant aux mœurs actuelles. Mais son conformisme est en quelque sorte en contradiction avec son essence: envoyer en l’air la rectitude morale et se foutre des conventions.

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