La pyrotechnie, art méconnu
Incontournables des grandes célébrations, les feux d’artifices impressionnent petits et grands. Si les pyrotechniciens qui les préparent restent discrets, leur travail est loin d’être un jeu d’enfants. Excursion dans le monde de ces artistes pour qui le ciel est une toile vierge.
La nuit tombe sur les quais du Vieux-Port de Montréal. La foule est fébrile. Tous attendent impatiemment le spectacle, les yeux rivés sur le ciel d’encre. Soudain, une détonation se fait entendre et des éclairs verts, roses et dorés viennent zébrer la voûte céleste. Alors que le commun des mortels se contente d’admirer la beauté du spectacle, une poignée d’anonymes regardent le ciel, anxieux de voir leurs nombreuses heures de travail partir en fumée.
Simon Zayed, artificier depuis près de quinze ans et fondateur de la compagnie Pyrozone, est un de ces artisans de la lumière dont le travail demeure méconnu. Le pyrotechnicien a participé à la préparation des spectacles de l’International des Feux Loto-Québec, un concours pyrotechnique réunissant des artificiers de partout dans le monde, cet été à la Ronde. Il souligne que même si ces feux d’artifices ne durent qu’une trentaine de minutes, leur préparation est exhaustive. «Un spectacle de l’envergure de ceux-là, ça représente des mois de conception».
Pour imaginer un spectacle de toutes pièces, l’artiste doit d’abord choisir la musique, le thème et les couleurs. Lorsqu’il a en tête les tableaux qu’il souhaite créer, il programme le spectacle à l’aide d’un logiciel informatique, en indiquant à quel moment chaque pièce pyrotechnique doit se déployer. Le fichier contenant cette feuille de route sera téléchargé sur la console de mise à feu, le jour du spectacle.
La synchronisation entre la musique et les effets visuels est particulièrement ardue puisque l’artificier doit tenir compte du délai entre la mise à feu de la pièce, aussi appelée bombe, et son explosion dans le ciel. «Il faut créer à l’envers. Si on veut qu’une bombe explose à un certain moment du spectacle, il faut reculer de quelques secondes sur la musique et la placer à cet endroit sur la ligne de mise à feu», résume Simon Zayed. La programmation doit être sans faille, parce qu’une fois qu’il appuie sur le bouton déclanchant la mise à feu, le pyrotechnicien n’a plus aucun contrôle sur le spectacle.
Malgré l’existence de logiciels de simulation leur offrant une idée approximative du résultat, les artificiers doivent très bien connaître les effets des pièces pyrotechniques qu’ils utiliseront. Chacune d’elle a une hauteur, une durée et une dimension différentes, en fonction de sa composition chimique et du mortier à partir duquel elle est propulsée. Des billes de poudre, disposées à l’intérieur de la coque, forment le motif qui est reproduit dans le ciel lorsque la bombe reçoit l’impulsion électrique servant à la faire exploser.
Poseurs de bombes
La formation nécessaire pour manier ces bombes n’est que d’une journée. Après avoir pris connaissances des mesures de sécurité de base, les pyrotechniciens reçoivent un permis émis par Ressources naturelles Canada leur donnant le droit d’utiliser des feux d’artifices. Mais pour ne pas se contenter de divertir leur famille au camping avec des fusées achetées au dépanneur du coin, les artificiers peuvent se jumeler à des firmes en tant qu’apprentis. C’est à ce moment qu’ils apprennent les rouages du métier, en vue de concevoir leurs propres spectacles.
Au delà du travail de conception, le pyrotechnicien doit ensuite préparer le spectacle sur le terrain, un travail fastidieux. «Pour obtenir une minute de feux, environ vingt-cinq personnes devront effectuer une heure de montage», estime Simon Zayed. Et une fois le montage effectué? «Il ne reste plus qu’à croiser les doigts pour que tout aille bien.»
L’installation des pièces comporte aussi certains risques, puisque les techniciens doivent manipuler des engins explosifs. L’artificier juge par contre que les normes de sécurité sont suffisamment élevées. «On prend beaucoup de précautions, et les accidents sont assez rares», assure-t-il. Le métier demeure tout de même dangereux. Il y a quelques années, une équipe de pyrotechniciens américains a perdu la vie dans l’explosion du conteneur où était rangé leur matériel. Simon Zayed, qui avait eu l’occasion de travailler avec cette équipe à peine quelques semaines avant l’explosion, a été ébranlé par cet accident. «C’est sûr que le fait de les avoir connu, ça frappe plus. Je suis plus prudent.»
Ce drame ne l’empêche pas pour autant de conserver un petit goût du risque. Alors qu’aujourd’hui, la plupart des mises à feu s’effectuent de façon informatique, il arrive à l’artificier de faire certains spectacles «à l’ancienne», en allumant les bombes à la main. «Des fois, je le fais encore comme ça pour le trip, raconte-t-il, les yeux pétillants. Ça vient mettre un peu de défi. Et puis, sentir l’odeur du souffre, la proximité de la bombe, c’est un feeling extraordinaire».
Pour Yanick Roy, vice-président chez Royal Pyrotechnie et concepteur du spectacle récipiendaire du Jupiter d’Or de 2009, la plus haute distinction décernée par le jury à l’International des Feux Loto-Québec, rien n’est plus gratifiant que de voir ses conceptions éclairer le firmament. Un sentiment que partage Simon Zayed, de Pyrozone. «C’est le fun d’imaginer un concept dans sa tête, que ça pète et de pouvoir dire “oui, c’est vraiment ce que je voulais faire”. Ma paie, elle est là-haut», confie-t-il en pointant le ciel.
Selon ce dernier, les feux d’artifices garderont toujours leur pouvoir d’émerveillement sur le public, peu importe son âge. Il se dit aussi choyé de pouvoir être témoin de la réaction des spectateurs et ne regrette pas d’être confiné à l’anonymat. «Il y a des artistes qui sont faits pour être devant le public. Il y en a d’autres, comme moi, qui préfèrent rester dans l’ombre.»
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