Le gospel à Montréal
Grande oubliée de la scène musicale montréalaise, la musique qui faisait danser Whoopi Goldberg dans le film Rock n’ nonne est en pleine croissance dans la ville aux cent clochers. Mais même si le gospel se démocratise, cette musique religieuse demeure l’apanage de la communauté noire de Montréal.
Rue St-Denis, quartier Villeray. Trois cent personnes sont debout, les bras tendus vers le ciel. «Jésus Christ est dans cet endroit», scande un preacher digne des télévangélistes américains, accompagné d’un vieux piano et de quelques choristes. Dans l’intimité d’un ancien théâtre transformé en église, les jeunes chrétiens de la communauté noire nord-américaine, absorbés par les éloges chantés au Tout-Puissant, répètent avec dévotion alléluia et louanges au rythme d’une entraînante musique: le gospel.
L’animatrice de ce concert de musique gospel à l’Église Vie Transformée, Diana St-Jean, se consacre à cette musique depuis qu’elle est retournée à ses racines, la vingtaine venue. La jeune femme d’origine haïtienne ne tarit pas d’éloges envers la scène gospel de la métropole. «Au Québec, on fait du gospel de même calibre qu’aux États-Unis, affirme la fondatrice du site montrealgospeltv.com. Mais il y a vraiment un manque de publicité. C’est un marché qui n’est pas assez exploité.» Elle estime que plus de 300 musiciens professionnels de la région de Montréal se consacrent à ce style musical déjà chanté par Elvis Presley.
Pleine d’énergie à 25 ans, Diane St-Jean déplore la censure à laquelle le gospel est soumis au petit écran. «Les réseaux de télévision nous empêchent de chanter réellement ce qu’on chante le dimanche dans nos églises, dénonce l’étudiante en enseignement secondaire à l’Université de Montréal (UdM). Il ne faut pas trop dire Jésus à la télévision. Les Québécois ont carrément un blocage par rapport à la religion.»
God Spell
Le gospel, ou évangile en français, est né aux États-Unis à la suite de la libération des esclaves noirs. Les travailleurs de champs de coton du Sud chantaient alors du negro spiritual pour supporter leurs labeurs. Cette musique religieuse servait aussi de mot de passe pour planifier des évasions. Mais après la Proclamation d’émancipation de Lincoln en 1862, les Noirs d’Amérique ont été libérés et ont obtenu leur propre église. De fil en aiguille, la musique negro, qui existe encore, a laissé place au gospel, des chants d’évangiles qui louangent Dieu et Jésus-Christ. «Malgré toutes les souffrances que les Noirs ont vécues, le gospel est une musique qui fait danser et qui fait bouger, s’étonne Jean Olivier, directeur général et artistique des Rendez-vous Gospel. C’est une musique qui vient nous chercher dans les tripes.»
Carol Bernard, directrice de deux chorales gospels de Montréal, le Jireh Gospel Choir et le Rivers Edge Gospel Choir, est du même avis. «Les gens aiment le gospel parce que ça reflète les douleurs de la vie. Mais parce que c’est aussi un message de joie et d’espoir.» La passionnée de gospel affirme que cette musique a changé sa vie. «En 1998, j’étais cadre et je gagnais 80 000$ par année. Maintenant, je dirige des chorales et je ne gagne pas beaucoup. Mais c’est ma passion. J’ai la conviction que Dieu m’a donné quelque chose que je peux partager avec les gens.» La fervente chrétienne et détentrice d’un baccalauréat en jazz à l’UdM semble sereine. «Avec le gospel, je peux exprimer ce qui réside en moi, explique-t-elle. Quand je chante, c’est toute mon âme qui chante. C’est aussi une louange à Dieu.»
Black or White
Les concerts gospel qui fusionnent messes et prestations musicales sont encore nombreux à Montréal. À l’instar du public des Rendez-vous Gospel, à majorité composée de Blancs de tout âge, le gospel se démocratise de plus en plus. Jean Olivier s’est donné comme mission de faire découvrir le gospel et son histoire aux habitants du quartier Centre-Sud. L’homme de 45 ans, un des rares Blancs de Montréal à se consacrer à la diffusion du gospel, estime que des Québécois de toutes origines ont adopté cette musique autrefois réservée aux Noirs. «C’est un courant musical qui demeure très peu connu, convient-il. Mais les Québécois s’y intéressent de plus en plus depuis trois ans.»
Sylvain Lalonde en est l’exemple parfait. Mince et paisible, l’homme de 52 ans est choriste depuis quelques années dans une des plus importantes chorales au pays, la Montreal Jubilation Gospel Choir. Fondée par Trevor W. Payne il y a presque trente ans, la chorale a déjà chanté devant Nelson Mandela et la reine Élizabeth II.
Les yeux brillants, le camionneur de métier raconte à quel point son rêve de faire partie d’une chorale gospel était improbable. «Jamais je n’aurais cru chanter un jour du gospel, s’exclame-t-il, encore étonné. Je n’étais pas noir. Je pensais fausser. Je ne savais pas lire la musique et je ne parlais pas anglais.»
Sylvain Lalonde explique que c’est le rythme de cette musique qui l’a d’abord attiré. Mais le rigoureux choriste, qui chante tant en anglais qu’en wolof, un dialecte sénégalais, affirme sans gêne à quel point le message qu’il chante le touche. «Ça me rapproche un peu de plus de la spiritualité. Pas de la religion, de la spiritualité. C’est vraiment une musique qui me réjouit.» Le passionné de gospel explique comment il a réellement compris l’essence de cette musique, il y a quelques mois. «Durant une répétition, on a chanté Go Tell It on the Mountain. Le guitariste a commencé à improviser, le pianiste a suivi, puis tout le monde s’est levé en chantant et en dansant. C’était magnifique. Je me suis senti noir pendant trois minutes.»
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