De la poubelle au musée

Photo Jean-François Hamelin 

Chaque matin, une quantité grandissante de matériaux évitent la poubelle pour commencer une nouvelle vie à bord d’un camion de recyclage. Nombre d’entre eux demeurent pourtant condamnés à l’enfouissement. L’art pourrait-il sauver ces exclus du bac vert?


Au premier coup d’œil, les dizaines de lampes, chaises et tables qui peuplent la Galerie Monde Ruelle n’ont rien qui les distingue de l’inventaire habituel des boutiques de meubles. En y regardant de plus près, elles ont pourtant toutes un petit je-ne-sais-quoi. Que ce soit un abat-jour fait d’attaches en plastique, une ex-allée de bowling devenue banc de parc ou une table de chevet bâtie sur un poteau d’électricité, les matières recyclées y occupent une place de choix.

«Réutiliser les objets autour de moi a été une question pratique. Lorsque j’étais étudiante en design, je n’avais pas de moyens. Faute d’argent, tous mes meubles ont été construits avec des matériaux usagés», raconte l’écodesigner Marie-Claude Parenteau-Lebœuf. Une démarche qui s’est poursuivie tout au long de sa carrière.

En compagnie de l’artiste Hubert Soucy, elle a créé la Galerie Monde Ruelle, véritable laboratoire où les deux complices transforment les débris des autres en œuvres d’art.
Les expériences menées par Hubert Soucy et Marie-Claude Parenteau-Lebœuf donnent des résultats multiples. Détournement, transformation, chirurgie esthétique et autres manipulations génétiques attendent les objets récupérés au bord de la route par les artistes qui fréquentent ce laboratoire éclaté. Leur rêve: vider les sites d’enfouissement de tous les matériaux non-recyclables.

 

Matériaux inspirants
«L’objet récupéré exerce un certain contrôle sur moi. Il me dit: Je suis ce que je suis, tu dois faire avec.» Assise devant une table de verre soutenue par d’anciens pylônes électriques, Marie-Claude Parenteau-Lebœuf avoue son obsession pour les matériaux industriels, plus intéressants et stimulants que les matières neuves. «Ils m’attirent énormément. Ce sont des objets qui ont été conçus et réfléchis méthodiquement. Leur forme, leur fonction est inhabituelle. J’adore penser que l’on voit l’objet, mais qu’on ne le remarque pas au sens artistique.» Pour trouver la matière première nécessaire à son art, l’artiste flâne fréquemment dans les «cours à scrap», à la recherche de la pièce qui saura l’inspirer.

Hubert Soucy entretient aussi une relation complexe avec les objets qu’il sauve de l’enfouissement. Lorsqu’il cherche l’inspiration, l’artiste circule dans les rues et ramasse tout ce qui lui tombe sous la main. Sa devise: tout ce que l’on voit peut être beau, même et surtout les objets les plus modestes. «Je ressens vraiment une attirance naturelle envers certains déchets. J’ai longtemps été quasiment obsédé par les grilles de ventilateurs, j’en ramassais partout où je passais. J’ignorais ce qu’elles deviendraient, jusqu’à maintenant», raconte-t-il en pointant une lampe entouré de la fameuse grille, devenue abat-jour.

En plus d’errer dans les rues et de fréquenter les cours à déchets, les artistes à la recherche d’une idée de génie auront bientôt accès à de nouvelles ressources en ligne. Nadia Bini, diplômée en ébénisterie de l’École du meuble de Montréal, a fondé en 2006 la banque interactive de l’organisme à but non lucratif Matériaux pour les arts Montréal (MAM). Il vise à fournir de la matière première aux créateurs qui ne bénéficient pas de subventions ou de moyens, par exemple les troupes amateures de théâtre ou les artistes visuels. En reliant artistes et manufacturiers, la jeune femme espère leur donner accès à des matériaux uniques.

Tissus, ampoules, plexiglas, bâches de PVC, décors de théâtre, les objets jetés par les manufactures sont multiples et gagnent à êtres réutilisés, croit Nadia Bini. «Ces matériaux sont utiles et créatifs. Le but est d’éviter leur enfouissement, d’avoir un impact environnemental et surtout, de valoriser et reconnaître les qualités esthétiques et plastiques du matériau.»

La directrice générale du projet MAM déplore toutefois le manque d’accessibilité des artistes aux matériaux recyclables. «Gérer les déchets coûte très cher pour les manufacturiers et entreprises. Un restaurateur de Montréal n’a qu’à déposer son bac de recyclage à l’extérieur, tandis qu’un manufacturier situé à Anjou doit payer pour chaque bac à déchet déposé.» Très peu de moyens ou de services sont disponibles pour sauver les matériaux recyclables des centres d’enfouissement, estime-t-elle.

Un avis que ne partage pas Marie-Claude Parenteau-Lebœuf. «C’est tellement facile de trouver des objets recyclés. Des objets encore fonctionnels et simplement usagés laissés sur le bord des rues, il y en a partout. C’est la surconsommation qui crée l’abondance de matériaux.»

 

Tendance écolo
C’est par amour pour l’usagé, mais aussi par conviction que Marie-Claude Parenteau-Lebœuf et Hubert Soucy réutilisent pour créer. La conscience écologique est essentielle à tout artiste, qu’elle fasse partie de sa démarche ou non, estime-t-elle. Même si le mouvement éco responsable gagne du terrain dans le milieu, tous les artistes ne sont pas verts pour autant. «Il y a des artistes qui créent encore avec des matériaux polluants ou non recyclables. Ce n’est pas un problème artistique, c’est un problème environnemental», déplore Marie-Claude Parenteau-Lebœuf.

Son collègue Hubert Soucy et elle déplorent d’ailleurs que des objets qui auraient pu être facilement retapés se retrouvent systématiquement au bord du chemin. «Nos grands-parents et même nos parents ne jetaient jamais un meuble endommagé, ils le réparaient et s’en servaient jusqu’à la fin de sa vie utile», se souvient la galériste. Même si elle encourage l’initiative d’entreprises telles qu’IKEA, qui met le design et l’aspect écologique de l’avant, elle dénonce la faible qualité de confection des meubles modernes. «Les meubles d’aujourd’hui sont mal faits, et nous sommes tellement habitués à surconsommer que nous les jetons dans la rue.»

Tous s’entendent pour dire que création et récupération vont souvent de pair. «Il y a des artistes qui font ce choix sans même s’en rendre compte. Un sculpteur ou un céramiste travaille la pierre. Il ne pollue absolument pas», rappelle l’artiste.

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