Que Dieu vous protège

Combats de lutte à l’église Saint-Charles

Le jour, l’église Saint-Charles est une église comme les autres: messes, prières et confessions. Mais le soir venu, le sous-sol de la maison de Dieu fait place au ring, aux lutteurs et à une foule en délire. Loin de l’hostie et des signes de croix, ce sont désormais des prises de lutte qui remettent sur le droit chemin des jeunes de quartiers difficiles.

 

Samedi soir, c’est soir de gala à la paroisse Saint-Charles. Plus d’une centaine de fans envahissent le sous-sol de l’église. Enfants, adolescents, adultes et personnes âgées hurlent autour du ring en attendant les lutteurs idolâtrés. Derrière une musique qui attaque les tympans et un stroboscope en guise d’éclairage, le petit Miguel crie le nom de son lutteur préféré: «Rebel, Rebel, Rebel…!». 10-9-8-7-6… Les lutteurs, armés de chaînes et de plaques de tôle, font leur entrée.

Depuis 1994, la lutte est devenue une religion pour plusieurs résidents de Pointe Saint-Charles, un quartier défavorisé du sud-ouest de Montréal. Lorsque Michel Piché, initiateur du projet, a demandé au curé de l’église d’utiliser son sous-sol pour ces spectacles loin de l’eucharistie, l’homme d’Église a fait preuve de bonté chrétienne, un peu à contrecœur. «Mais il m’a fait confiance, confie Michel Piché. C’est un lieu de charité, donc c’était plus facile et moins cher de le louer.»

Pour les jeunes qui s’initient à ce sport provocateur, il ne s’agit pas seulement de combattre entre les câbles de l’arène. La lutte est un outil de réinsertion sociale qui leur permet de contrer les dures réalités du quartier. «Je ne laisse pas lutter les jeunes qui n’ont pas des bonnes notes à l’école, indique Michel Piché, professeur de lutte depuis maintenant 17 ans à l’église Saint-Charles. Il y a beaucoup de gangs de rue et de dealers de drogue dans le quartier, on dirait même plus qu’avant.» L’entraîneur au manteau de cuir, tatouages aux bras et mohawk sur la tête est convaincu que la lutte en a aidé plus d’un. Aujourd’hui, entre 35 et 45 jeunes et moins jeunes combattent pour Michel Piché.

C’est le cas de Fred, 27 ans, qui confie que la lutte l’a aidé à se sortir d’un gang de rue. «C’est comme un programme sport/étude. Si on “foxait” l’école, on ne rentrait pas le samedi pour lutter. C’était assez sévère», se remémore-t-il.

Au cours des nombreux entraînements, les jeunes sont initiés aux différentes prises en arène et apprennent comment bien tomber, explique Michel Piché. Mais même si tout est chorégraphié, l’entraîneur soutient que beaucoup de place est laissée à l’improvisation. Pour éviter les blessures, celui dont les cicatrices au visage témoignent de ses 25 ans d’expérience, rappelle à ses élèves qu’ils doivent développer leur propre style et ne pas imiter ce qu’ils voient à la télévision. «Respecte ton adversaire et respecte ton public, leur lance-t-il avant les matchs. Non seulement ça les défoule, mais en plus ça leur apprend à se faire confiance et à se débrouiller.» 

Quelques heures avant le début du gala, l’échauffement commence. Les premiers impacts des chutes sur le ring remplacent le silence austère auquel est habitué la bâtisse de pierre. Fred, fébrile, prépare son combat prévu pour la soirée. Celui qui mesure près de six pieds et pèse presque 300 livres pourrait en effrayer plus d’un. Pourtant, quand il porte sa petite fille de trois mois dans ses bras, il est difficile de deviner que plusieurs fois par mois le jeune homme se transforme en Fred Roméo et arbore fièrement son habit de scène rose et vert lime. «Quand je deviens mon personnage, j’ai une poussée d’adrénaline. Il faut vraiment donner un show», affirme le lutteur avec un calme cachant son excitation. 

Jeter la première pierre

De retour sur le ring. Le public est déchaîné. Les beats remplacent les notes d’orgue. Une engueulade éclate entre un spectateur et un lutteur. Des gardiens de sécurité doivent intervenir. Était-ce prévu au scénario? Personne ne sait vraiment. Au milieu de l’arène, un lutteur a le visage ensanglanté. Violente, la lutte? Pour Gérard Martineau, le prêtre qui a accepté il y a 17 ans les galas de lutte dans le sous-sol de son église, il ne s’agit pas d’une violence gratuite comme on peut en voir sur Internet ou dans les jeux vidéo. «C’est une violence qui est arrangée, explique-t-il. J’aime mieux voir les jeunes se battre dans un milieu encadré comme à l’église que de les voir faire des mauvais coups dans la rue.»

Si la lutte est un défoulement pour bien des lutteurs, elle l’est également pour ceux qui y assistent. «J’ai un bébé de deux ans à la maison et un chum avec qui je me chicane souvent. Venir ici, ça me permet de crier et de me défouler», confie Sonia, jeune amatrice de lutte qui assiste aux galas depuis sa plus tendre enfance. À l’entracte, des gamins accourent pour avoir un autographe de leur lutteur favori. Au coût de cinq dollars, les fidèles se déplacent pour encourager leurs parents, amis et proches. Les profits sont ensuite partagés entre la paroisse et la Wrestling Titan Atlas, la fédération de lutte créée par Michel Piché en 1994. 

L’arbitre a tapé trois fois. Mike hors-la-loi fait le mort au milieu du ring. Rebel est proclamé grand vainqueur. Il traverse la salle et serre la main du petit Miguel émerveillé par l’imposant lutteur. Pas de doute, la relève est là. Par contre, personne ne sait si le nouveau curé de la paroisse Saint-Charles, arrivé depuis quelques semaines, continuera à prêter le sous-sol de l’église. «Moi je fais ma job, affirme Michel Piché, pour le reste, je laisse ça entre les mains du bon Dieu!»

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