Happy ending

La danse slow de retour à Montréal

Dans la métropole, les Slowdance Night permettent aux Montréalais d’affronter la froideur de l’hiver dans les bras d’une jolie fille ou d’un homme aux souliers en cuir vernis. Portrait de ces soirées où demander une danse à un inconnu rappelle la nervosité du secondaire.

Photo: Jean-François Hamelin

Au centre de la piste, une petite blonde à la robe bleue est nichée dans le cou de son cavalier, comme s’ils étaient seuls au monde. À leurs côtés, plus de 100 personnes dansent doucement sous les lueurs de la boule disco. D’autres discutent autour d’un verre, alors que plusieurs cherchent leur prochain partenaire. Lors des Slowdance Night, le rythme passe de Beyoncé à Coldplay, pour que le slow et la chaleur humaine triomphent à Montréal dans la légèreté. Juste des slows. All night long.

À l’entrée, les invités reçoivent un crayon et un petit carnet, où toutes les chansons sont dévoilées. Les danseurs peuvent y réserver leurs différents partenaires dès le début de la soirée. Dans ce feuillet figurent aussi les règlements. Règle numéro 1: «Vous pouvez inviter n’importe qui à danser.» Règle numéro 2: «N’importe qui peut refuser votre offre, pour n’importe quelle raison.»

N’importe qui? Oui, même l’hôte de la soirée, vêtu d’une robe noire à paillettes, qui accueille régulièrement des danseurs derrière sa console de son, le temps d’un slow. «Aujourd’hui, quand tu sors dans un bar et que quelqu’un te demande pour danser, c’est parce qu’il veut te ramener à la maison, soutient l’organisateur Sherwin Tija. Aux Slowdance Night, ce n’est pas ce que ça implique. Les gens adoptent un langage différent. Ils dansent entre eux, plutôt que de danser froidement les uns en face des autres.»

Ce nouveau langage n’a rien à voir avec le malaise ressenti à l’adolescence dans une salle éclairée aux néons, où les garçons étaient rangés timidement sur le côté pendant que les filles dansaient au centre. Les Slowdance Night ont troqué les partys chips-liqueur contre la Boréale et l’aisance de la maturité. «Quand j’étais jeune, j’étais terrifié d’inviter quelqu’un à danser, confie Sherwin Tija. Aujourd’hui, c’est moins épeurant. Je suis plus brave.»

Bien que les Slowdance Night prévoient une sélection musicale slow toute la nuit, l’organisateur s’est vite rendu compte que les gens avaient parfois besoin de s’éclater un peu. La soirée prévoit donc quatre segments entrecoupés des «trois chansons les plus rapides que l’on puisse trouver». Lady Gaga et Outkast font alors vibrer les danseurs, qui sont ensuite heureux de retourner lentement dans les bras d’un quelconque inconnu.

Et qui sont ces personnes qui tournent sur la piste de danse? Surtout de jeunes anglophones de la métropole. L’événement a d’ailleurs traîné ses pénates jusqu’à Toronto et Ottawa pour faire bénéficier les Ontariens de ce retour du slow tout en légèreté.

En manque

Le slow est une espèce en voie d’extinction. Vous n’en trouverez ni au Club 1234, ni à LaBoom, pas plus qu’au Fuzzy de Brossard. «On ne fait plus vraiment jouer de slows, à moins que le DJ feel drôle ou cochon», commente Normand Bessette, employé du Fuzzy depuis quatre ans. L’exception à la règle se trouve dans la formule du Radiolounge de Montréal, où le slow est parfois mis de l’avant en fin de soirée, pour «ralentir le beat» et indiquer poliment la sortie aux danseurs.

Pour combler ce manque, Julie Rocque a poussé la porte des Slowdance Night plusieurs fois. «J’adore l’ouverture de ces soirées. Ici, c’est le contact humain qui compte. Tout le monde danse avec tout le monde!» Elle soutient que la soirée combat à sa façon le pire fléau de la société: la solitude. Sherwin est d’ailleurs fier d’avoir concocté un remède à ce mal grandissant. «C’est tellement une bonne chose, de danser avec 20 ou 25 personnes différentes dans la même soirée.»

Inutile de connaître les pas pour oser la première danse. À peine après avoir mis les pieds dans la salle – qui change de lieu d’une fois à l’autre – un petit homme haut comme trois pommes est venu tendre la main à Montréal Campus: «Do you want to dance?». «Sure!», a répliqué la journaliste. En quittant son siège, elle s’est vite rendue compte que les bottes à talons hauts n’étaient peut-être pas le meilleur choix pour les cavaliers plus petits que soi. Qu’importe, le petit homme à lunettes a rapidement su faire tourner sa belle, le regard un peu vide, trop préoccupé par l’exécution de ses pirouettes.

So good

Malgré tous les bons souvenirs qu’il peut imprégner dans la tête de ses adeptes, le slow n’a plus la même signification qu’auparavant. «Danser, il y a 50 ans, ça voulait dire partager un moment d’intimité avec une personne de l’autre sexe, explique l’ex-uqamienne Myriam Leroux, âgée de 25 ans. À notre époque, on dirait que les slows ne veulent plus rien dire. Le toucher est facile entre individus. Nous n’avons plus besoin de prétexte musical ou d’une danse pour le faire.»

Alors pourquoi venir aux Slowdance Night? Peut-être pour dépoussiérer sa vieille robe de bal et enfiler ces gants blancs trop chics pour les discothèques de la métropole. À moins que vous ne préfériez mettre des plumes dans vos cheveux ou sur votre chapeau pour danser sur les chansons – anglophones – qui ont bercé votre poussée de croissance.

Vers minuit, certaines filles font des cendrillons d’elles-mêmes et enlèvent leurs souliers pour donner une chance à leurs pieds endoloris. Après la dernière danse – Stairway to Heaven – les couples, qu’ils soient nouvellement réunis ou non, quittent tranquillement la salle main dans la main. «It was so good», lançait une fille toute de mauve vêtue, avant de regagner le vestiaire. La prochaine danse: 31 décembre, théâtre Mainline, pour passer la nouvelle année dans un rendez-vous galant géant.

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