Profession: chasseur d’épaves
L’eau du St-Laurent coule dans les veines du chasseur d’épaves Samuel Côté. Une main sur le gouvernail de son bateau, une carte dans l’autre, le jeune Rimouskois livre ses trouvailles pour le plus grand plaisir des amateurs de trésors historiques.
Au pied du phare de Métis-sur-Mer, à mi-chemin entre Rimouski et Matane, le regard perçant de Samuel Côté embrasse le large, son territoire. L’air froid est pur. Il respire à plein poumons. À 24 ans, il est l’un des plus jeunes chasseurs d’épaves au monde.
Rien n’échappe à son attention. Cartésien, méticuleux, obstiné dans ses recherches, l’historien autodidacte accomplit un véritable travail de moine. Il recoupe les faits, rencontre les anciens travailleurs de la mer et compare les journaux de l’époque dans le but d’identifier les épaves qui reposent au fond de l’estuaire du Saint-Laurent. «Pendant des centaines d’années, des hommes naviguaient sans équipement de pointe sur un fleuve truffé de récifs, explique le jeune résident de Rimouski. C’étaient des gens admirables. Il faut préserver leur mémoire.»
Percer à jour les mystères de ces hommes et de leurs navires échoués n’est pas une mince tâche. Il peut compter sur quatre plongeurs amateurs et bénévoles pour mesurer les dimensions des embarcations, nécessaires à leur identification. Samuel expose ensuite ses trouvailles sur son site Le Cimetière du Saint-Laurent, fondé en 2007. Sous forme d’un journal de bord, il y relate les derniers moments des tragédies maritimes survenues sur le majestueux fleuve. Le fruit de ses recherches lui a permis de publier en octobre dernier le livre d’histoire Le Métis maritime ancré au passé: de 1800 à aujourd’hui.
Chasse au trésor
Grâce à son site Internet, la notoriété de Samuel dépasse largement les frontières de son coin de pays. «Des gens de l’extérieur m’envoient des courriels afin que je les aide à cibler une épave. Au fil des conversations, je détecte ceux qui n’ont qu’une seule chose en tête: le pillage.»
Selon lui, beaucoup de plongeurs sont attirés par l’appât du gain. Sur le site d’achats en ligne Ebay, une assiette en porcelaine de première classe trouvée à bord de l’Empress of Ireland, triste souvenir de la plus importante tragédie maritime du Canada qui a fait 1012 morts, est en vente pour 2500 dollars. «Elle sera vendue pour 4000$ sans problème, affirme-t-il. Si je voulais, je pourrais facilement me faire la piastre en pillant les épaves, mais je n’en fais rien, question de respect.» En principe, les pièces trouvées sur un site d’exploration marine doivent être déclarées et remises au gouvernement fédéral qui pourra l’envoyer dans un musée.
Quant aux objets trouvés par hasard, comme sur la plage, c’est qui trouve garde. Avec les pièces qu’il a collectionnées au fil des ans, Samuel Côté rêve de fonder, pourquoi pas, son propre musée. «En tant que peuple, le Saint-Laurent nous a mis au monde et moi je veux raconter son histoire.» Son butin, d’une cinquantaine d’artéfacts, compte notamment un margouillet, une pièce de bois rattachée au gréement d’un bateau datant du 19e siècle, une pipe d’argile vieille de 200 ans, une pointe de flèche du début de l’ère chrétienne et plusieurs obus et munitions de la Seconde Guerre mondiale.
Serge Guay, le directeur du site historique maritime de Pointe-au-Père, qui comprend un musée consacrée à l’Empress of Ireland, reconnaît l’apport essentiel des chasseurs d’épaves au rayonnement de l’histoire maritime. «C’est grâce aux plongeurs que notre institution a été créée. Encore aujourd’hui, de nombreux navires reposent au fond du Saint-Laurent. Samuel Côté les recherche et les répertorie. L’essentiel est de les mettre en valeur et de les faire connaître au public.»
L’appel du large
Fin octobre, un vent à écorner les bœufs balaie la campagne. Mathieu Chouinard, fondeur à Mont-Joli et plongeur amateur, arrive à bord de son pick-up chez les Côté, dans le village de Price. Le zodiac de Samuel, une embarcation pneumatique financée à même ses poches, doit être remisé avant la saison hivernale. Le chasseur d’épaves et son coéquipier, un ami d’enfance, s’affairent à l’entretien du moteur sous le regard approbateur de Marcel Côté, son père. «Faut les voir quand ils partent toute la gang sur le fleuve, le bateau lève de même», illustre-t-il en montrant sa main tendue vers le ciel gris. L’homme aux lunettes épaisses et à la tignasse grise n’a rien d’un vieux loup de mer. Il a travaillé dans l’une des deux scieries de la défunte compagnie Price, qui a légué son nom au village. Selon Marcel Côté, la passion de son fils remonte à son enfance. «Il dit tout le temps qu’il est né les deux pieds dans l’eau! Comme ses deux frères, Sam a passé ses étés dans notre shack sur le bord du fleuve. Ç’a dû y être pour quelque chose.» Mathieu Chouinard ne tarit pas d’éloges pour son ami. «Sam a toujours eu la tête pleine de projets, c’est motivant. En plus, il parle de notre histoire. Y’a du potentiel en ostie!»
Mauvaise pêche
En 2008, l’équipe de Cimetière du Saint-Laurent a pu identifier l’Atlas Scow No.1, un chaland disparu de la surface de l’eau il y a 45 ans. Mais cette année, la saison d’exploration de Samuel s’est terminée en queue de poisson. Ses espoirs étaient pourtant grands lorsqu’il a ciblé une goélette probablement centenaire au large de Métis-sur-Mer. Au mois de septembre, l’équipe est partie en expédition en vue de l’identifier. Ironie du sort, leur ancre s’est logée dans la coque d’un autre navire au fond du fleuve. Le temps de décrocher l’ancre, les plongeurs n’avaient plus d’air et l’équipe a dû retourner sur la terre ferme. Les conditions atmosphériques n’ont pas permis de reprendre l’expédition avant la fin de la saison, en octobre. Comme les derniers mois de l’été sont la période optimale pour la plongée, le chasseur doit s’armer de patience. «J’ai dressé une liste de cinq noms de bateaux qui pourraient correspondre à la goélette. Dès août prochain, les gars plongeront et on en aura le cœur net», promet Samuel, les yeux pétillants.
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