Le métier d’organisateur professionnel
Trier. Jeter. Classer. Trois tâches simples paraissent pourtant impossibles pour plusieurs. Leur bordel représente une véritable mine d’or pour les experts de l’organisation qui bâtissent leur carrière en s’attaquant au désordre d’autrui.
L’énorme bureau noir de Viviane Bastien est placé exactement au centre de la pièce. Derrière le meuble, des centaines d’œufs décoratifs ornent le mur, chacun niché dans un espace symétrique placé à distance égale des autres. Les formes multicolores créent un arc-en-ciel étrangement harmonieux. Sur un classeur, de la même teinte que le bureau, trône un immense crâne d’animal minutieusement superposé à une reproduction d’un soldat de l’ère napoléonienne scellée dans un cadre en or. Dans la salle de travail de la femme d’affaires, tout est organisé au millimètre près.
Comme 600 autres organisateurs professionnels à travers le Canada, Viviane Bastien gagne sa vie en ordonnant celle des autres. Depuis 2005, elle aide les individus désorganisés à reprendre leur espace et leur vie en main. «Les personnes bénéficiant d’un intérieur organisé sont plus confiantes et calmes lorsqu’ils savent que chaque chose est à sa place.» Une conviction que partage Lynn Freeman Haque, fondatrice de la compagnie montréalaise Simply Organized. «Je crois fermement qu’une meilleure qualité de vie peut être atteinte par l’organisation.»
Après une brève rencontre téléphonique, l’organisatrice professionnelle s’attaque à votre désordre. Elle vous aide à trier, jeter et réorganiser vos affaires afin de mieux utiliser votre espace. «Les photos dans les magazines ne sont pas réelles. Ce n’est pas vrai que nos comptoirs sont toujours vides, il nous faut du rangement. Le tout est de savoir comment le dissimuler de façon judicieuse», indique Viviane Bastien.
Sa cuisine prouve d’ailleurs que les apparences peuvent être trompeuses. Une armoire ambrée cache un micro-ondes alors qu’une tablette coulissante abrite grille-pain et malaxeur. La coutellerie et les ustensiles sont classés en ordre d’importance selon leur utilité. Sous l’évier se terre une poubelle tandis que des tablettes supplémentaires servent à augmenter l’espace contenu dans les armoires. Le réfrigérateur est complètement nu, sans même une poignée. L’organisatrice a pensé à tout, jusqu’à la baguette de bois qui lui permet de récupérer les morceaux de toast tombés au fond du grille-pain sans s’électrocuter.
Passion ou obsession?
Gagner sa vie en nettoyant le désordre des autres peut sembler insensé. Ces organisatrices disciplinées cachent-elles des obsédées de la propreté? Les deux femmes s’en défendent bien. «Plusieurs croient que nous imposons notre volonté aux gens avec qui nous travaillons. C’est faux. Le client a toujours le dernier mot. S’il est capable de me prouver qu’il aime, valorise et utilise les objets qu’il accumule et surtout qu’il a l’espace pour les garder, je ne le forcerai évidemment pas à les jeter», se défend Lynn Freeman Haque.
Viviane Bastien avoue cependant entretenir une passion pour le bordel. «Le gros désordre m’allume, il m’excite. Je suis toujours capable de voir au-delà du fouillis. Je vois le résultat final et j’ai très hâte de l’atteindre.» Organisatrice-née, elle a toujours su trier, classer et ordonner. «C’est vrai que j’ai eu de la difficulté à assumer mon côté organisé. J’avais toujours peur d’être un peu maniaque.»
Dans certains cas, l’anonymat du client est indispensable. Viviane Bastien et Lynn Freeman Haque ont parfois fait des découvertes surprenantes dans le bordel d’autrui. «J’ai tout vu! Des condoms, des seringues, des médicaments. Je vois tout d’eux, même si je ne veux pas», confie Viviane Bastien. Voyager dans le bric-à-brac d’un inconnu peut aussi mener à des situations cocasses. «J’étais en train de mettre de l’ordre dans les sous-vêtements d’une cliente. Je l’ai vouvoyée en lui posant une question et elle m’a répondu: “Arrête de me vouvoyer, t’es dans mes petites culottes!”» raconte-t-elle en riant.
Beaucoup de clients sont par ailleurs victimes du jugement de leurs amis et leur famille lorsqu’ils avouent faire appel aux services d’un professionnel de l’ordre. «Leur entourage ne comprend pas pourquoi ils doivent engager quelqu’un pour ramasser à leur place», dénonce Viviane Bastien. La discrétion a toutefois un prix. Dans la grande région de Montréal, les tarifs de la quarantaine d’organisateurs s’élèvent entre 40 et 200 dollars de l’heure.
Certaines personnes en obtiennent encore plus pour leur argent. Comme pour cette cliente divorcée qui a décidé de faire le ménage dans les affaires de son ex-mari. «Je l’ai vu se transformer sous mes yeux. Faire le ménage lui a permis de faire son deuil, de changer sa vie», s’émerveille encore l’organisatrice. Les personnes désorganisées sont souvent traitées comme des individus irresponsables alors que leur bric-à-brac cache de plus graves problèmes, croit sa consœur , Lynn Freeman Haque.
Malgré sa passion pour l’ordre, Viviane Bastien elle-même entretient un petit côté délinquant. «J’ai un panier où je garde des guenilles dans l’espoir qu’elles me servent un jour. Je sais, c’est niaiseux, mais je me soigne.»
Hoarding: le syndrome du collectionneur fou
Il arrive que les organisateurs demeurent impuissants devant l’ampleur du désordre, comme lorsque les clients sont victimes de hoarding, un symptôme observé chez les personnes souffrant de trouble obsessif compulsif (TOC). Les hoarders accumulent des objets inutiles et sans valeur de façon compulsive, jusqu’à être incapables de circuler ou même d’habiter chez eux. Selon le spécialiste des troubles obsessifs compulsifs Kieron O’Connor, les personnes aux prises avec un problème de hoarding doivent se tourner vers la thérapie plutôt qu’un organisateur professionnel. «Si on sort d’un coup tous les objets superflus, la maladie ne peut que s’aggraver. Le gros problème pour les hoarders, c’est justement d’accepter que quelqu’un les aide à trier leurs choses», explique le psychologue au Centre de recherche Fernand Seguin sur la santé mentale.
Quand le fouillis vous envahit
S’organiser sans payer un sou est possible. L’organisatrice professionnelle Viviane Bastien offre plusieurs conseils aux étudiants qui souhaitent reprendre le contrôle sur leur fouillis:
– Bloquer du temps dans son agenda (prévoir un minimum de 3 heures pour une première séance).
– Informer les gens avec qui l’on vit de notre réorganisation et ne rien jeter qui ne nous appartient pas.
– Dans une pièce encombrée, commencer par l’élément le plus gros et le plus visible.
– Diviser son désordre en piles selon un système qui nous est propre (garder-donner-jeter). Ne pas faire de pile «je ne sais pas».
– Pour éviter les regrets et les doutes, se débarrasser immédiatement des items jetés. On peut également en faire don aux œuvres de charité.
– Pour éviter de nouvelles accumulations, suivre ce précepte: lorsqu’un nouvel item entre dans la maison, un autre objet doit en sortir.
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