Portrait de la Station C
Exit les siestes de l’après-midi, les petits creux, la télévision et autres appels de la paresse. La Station C offre aux travailleurs indépendants une solution de rechange pour combattre l’improductivité.
Seule une timide inscription sur un immeuble sans lustre et coincé entre deux espaces à louer, boulevard Saint-Laurent, laisse deviner la Station C. Trois coups de sonnette, trois étages et trois toc plus tard, le copropriétaire de l’endroit, Partick Tanguay, apparaît enfin. Son lieu de travail aux allures de loft branché, exempt de perturbations extérieures, est un remède assuré contre la procrastination pour les travailleurs autonomes.
Pour un montant mensuel de 350 dollars, les membres peuvent accéder à l’un des 16 bureaux de travail, à une connexion Internet et à deux salles de réunion. Pour les visiteurs occasionnels, il est également possible de louer un bureau à l’heure ou à la semaine.
La Station C ressemble à s’y méprendre à un appartement: il y manque seulement quelques lits. L’endroit a pour objectif de concilier le meilleur de deux mondes. «Travailler à la maison, ça élimine tous les contacts extérieurs et c’est plutôt déprimant, souligne Patrick Tanguay. Ensuite, il y a les cafés-restos. Mais si ceux qui travaillent à temps plein payaient leur espace en cafés, ils repartiraient avec un méchant high! Sans compter la frustration qu’engendrent le bruit ambiant et l’instabilité des connexions sans fil.»
À la Station C, les pauses-café sont plutôt une occasion de rapprochement. En plus de stimuler le système nerveux, elles réveillent parfois des associations d’affaires. «De nombreuses collaborations émergent entre les travailleurs, remarque Patrick Tanguay. On a accès à une foule de ressources et de conseils utiles sans avoir à se déplacer. Si j’ai une question à poser à un rédacteur, ça prend deux minutes. Je n’ai pas à me demander si ça le dérange.»
L’initiateur du projet considère que Station C héberge plus que des travailleurs indépendants. «On est une gang de colocs, dans le fond. La plupart des membres possèdent leur clé et profitent d’un accès illimité au site, selon leur contrat d’adhésion. Que ce soit de préparer le café, de laver les toilettes, de recevoir les visiteurs, tout le monde participe. C’est le minimum pour que la place subsiste.» Station C, qui a fêté récemment son premier anniversaire, est loin d’être une manne à fric. «On vise le seuil de rentabilité, rien de plus. Notre paie, c’est de nouveaux contacts, de nouvelles occasions. Ni mon partenaire d’affaires ni moi ne voulions s’occuper de l’endroit à plein temps», explique celui qui gagne sa vie dans le développement Web.
Benoît Richard, qui œuvre dans l’informatique, connaît la Station C depuis son ouverture. Pourtant, au passage de Montréal Campus, il travaillait dans le local du Mile-End pour la première fois.
En ce mercredi, il est sans doute plus seul que s’il était resté chez lui, noyé dans un espace de 2500 pieds carrés anormalement dépeuplé. «Vers l’heure du midi, en général, c’est tranquille, soutient Patrick Tanguay. Aujourd’hui, c’est particulièrement mort comparativement à l’achalandage habituel.»
Au total, une vingtaine de travailleurs indépendants et de pigistes, majoritairement des hommes, se partagent les bureaux. Des efforts sont d’ailleurs entrepris pour intéresser davantage de femmes et d’étudiants. Depuis l’ouverture, scénaristes, journalistes, designers et développeurs Web, rédacteurs, avocats et agents immobiliers ont visité l’endroit. Benoît Richard, qui n’est pas encore membre de la Station C, espère se greffer bientôt à cette communauté. «Dès que je mets la main sur des contrats plus lucratifs, je loue un bureau permanent», assure-t-il.
Le « C » de la Station C a été choisi pour signifier l’importance de la communauté et de la collaboration. Patrick Tanguay appréhendait toutefois que sa petite bourgade appâte rapidement son lot d’affairistes. «On ne voulait pas que ça devienne un espace de réseautage à l’extrême, qu’une carte d’affaires soit dissimulée dans chaque poignée de main. Et comme de fait, on a dû avoir des discussions avec quelques personnes.» Pour pallier tout malentendu, le code de conduite est désormais énoncé avant la signature de chaque contrat.
Faire la vague
Le coworking, concept pour lequel le français n’a toujours pas trouvé d’équivalent, est né en Californie il y a environ quatre ans. C’est toutefois à l’Île-du-Prince-Édouard que Patrick Tanguay a pêché l’ossature de la Station C, alors qu’une communauté de travailleurs y a créé un bureau communautaire. «C’était tout simplement logique que Montréal se dote d’un lieu similaire.»
Le jeune entrepreneur rejette l’idée d’une expansion agressive d’espaces de coworking en territoire québécois, bien qu’invariablement, l’intérêt devrait se propager ailleurs dans la province. «Les travailleurs indépendants de villes dont le bassin de population est moins important commencent à s’intéresser au coworking, notamment ceux de Québec», souligne l’instigateur de la Station C. Au Canada, il existe une dizaine d’espaces de coworking, dont Workspace à Vancouver, qui administre la plus grosse communauté au pays. À Montréal, outre la Station C, on recense trois autres emplacements similaires, dont les modalités diffèrent. La concurrence, si elle existe, ne semble pas faire sourciller Patrick Tanguay. Il n’attend d’ailleurs que le retour de Daniel Mireault, son associé, pour déguerpir trois mois en Europe. Comme quoi, à toutes les tentatives pour rendre le travail plus agréable, survivra toujours l’inexorable bonheur de s’y soustraire à l’occasion.
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