Pas de fumée sans feu

Photo Jean-François Hamelin - Le snus débarquera bientôt dans les dépanneurs montréalais. Ce tabac oral, originaire de Suède, est placé entre la lèvre supérieure et la gencive pour être lentement absorbé par l'organisme.

 

À l’heure où un fumeur sur deux dit vouloir délaisser la cigarette, l’industrie du tabac s’essouffle. Dans un ultime effort pour retenir les quelque 1,2 million de fumeurs québécois, les géants de la nicotine déposeront bientôt sur les tablettes montréalaises un nouveau produit du tabac sans fumée: le snus.

Dernière trouvaille des producteurs de cigarettes, le tabac oral, ou snus (prononcer snousse), est déjà en vente dans plusieurs villes canadiennes, dont Edmonton et Ottawa. Ce tabac humide, placé entre la gencive et la lèvre supérieure, est lentement absorbé par l’organisme. Un amateur de snus consomme en moyenne 16 doses en poudre ou en sachets par jour.

 

Cette façon traditionnelle de consommer le tabac provient de la Suède, où la consommation du snus a toujours dépassé celle de la cigarette. En Amérique, les produits du tabac sans fumée sont offerts sous forme de poudre sous les marques Skoal et Copenhagen depuis plus de 50 ans. Cette pratique a toutefois explosé au cours des dernières années. Aux États-Unis seulement, le nombre de consommateurs du snus a bondi de 4,7 à 6,1 millions entre 2001 et 2006. Le marché devrait croître de près de 8% d’ici 2010.

 
La commercialisation du snus vise d’abord et avant tout à retenir les fumeurs invétérés, de plus en plus affectés par les campagnes d’abandon du tabagisme, les lois anti-fumée et autres mesures dissuasives. Le tabac oral ne produit aucune fumée secondaire, ce qui en fait un produit moins nocif que la cigarette. Sa consommation est discrète et son arôme mentholé, agréable. De plus, il est moins dommageable pour le système respiratoire puisqu’il entre dans l’organisme par voie sanguine. Ces arguments sont  tous utilisés par des compagnies de tabac comme Imperial Tobacco Canada, qui distribue le snus à l’essai dans quelques villes canadiennes sous son étiquette du Maurier. Sur son site Internet, la compagnie inclut l’introduction de produits sans fumée comme l’une de ses responsabilités sociales.

Affiché clairement sur la boîte de Skoal, l’avertissement de Santé Canada est pourtant sans équivoque: «Ce produit n’est pas un substitut sécuritaire à la cigarette.» Un avis partagé par les groupes d’abandon du tabagisme et les spécialistes. «Dire que c’est plus sécuritaire ne veut pas dire que c’est sans risque. La littérature scientifique sur le sujet a démontré des risques accrus de cancer du pancréas et de la bouche, ainsi que des dommages permanents à la dentition. Il a été prouvé qu’il est aussi difficile d’abandonner sa dépendance au snus qu’à la cigarette», soutient Joseph Erban, conseiller au Centre de prévention du cancer de l’Hôpital général juif. «La dépendance à la nicotine est extrêmement nocive, peu importe la façon dont on la consomme», croit pour sa part l’intervenante en abandon du tabagisme à l’Hôtel-Dieu, Caroline Cjeka. «La dépendance au tabac est pire que tout, plus que l’alcool ou le cannabis. Il est presque impossible de s’en débarrasser. Une seule tentative est suffisante pour devenir accro.»

Le directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé, Mario Bujold, est plus nuancé. «Il est vrai que le risque de maladies pulmonaires et d’emphysème est diminué. Mais d’autres problèmes sont amenés comme les cancers de la bouche et de la gorge, sans compter l’inflammation des gencives.» En 1998, le Conseil québécois sur le tabac et la santé a intenté une poursuite contre plusieurs compagnies de tabac au nom de fumeurs atteints de cancer et d’emphysème. Dix ans plus tard, le directeur général n’a qu’une seule question à poser aux éventuels consommateurs de snus. «Voulez-vous mourir d’un cancer du poumon ou de la bouche? C’est la véritable question.»

Pure coïncidence?
La mise de l’avant du tabac sans fumée démontre l’incroyable capacité d’adaptation de l’industrie du tabac, selon le Conseil québécois sur le tabac et la santé. «Il y a toujours une tentative de la part des compagnies de tabac de berner le consommateur, de lui faire croire que le risque est moindre. Par exemple, à partir du moment où les risques du tabagisme ont été connus dans les années 1970, les compagnies ont inventé les cigarettes dites légères.»

Pour Joseph Erban, l’émergence de cette nouvelle génération de produits du tabac n’est pas une coïncidence. «La perception de la société a changé par rapport à la cigarette. On a découvert que le tabagisme a des conséquences graves sur la santé. Ce n’est plus socialement acceptable, ni légal, de fumer dans les endroits publics. Tout cela crée un environnement où les fumeurs qui ne peuvent ou ne veulent pas arrêter de fumer sont stigmatisés. Avec le snus et tous les autres produits sans fumée, ils peuvent s’adonner à leur dépendance en public sans se faire juger», affirme le conseiller en cessation du tabagisme. Ce n’est pas la première fois qu’un nouveau produit est proposé en réaction aux changements sociaux. «Les compagnies de tabac comprennent qu’il y a un engouement pour le changement. Ils voient le nombre de fumeurs qui arrêtent. Ils rajustent leur tir et sont en train de changer leur promotion du produit, c’est tout», explique l’intervenante Caroline Cjeka.

Des documents rendus publics cette année par la British American Tobacco Company (BAT) dévoilent des études de marché sur le tabac sans fumée remontant jusqu’à 1981. Ces études détaillaient déjà le public ciblé, constitués de jeunes hommes âgés entre 18 et 34 ans et détenant un haut niveau d’éducation. Elles exploraient également l’attirance des fumeurs pour cette nouvelle option, ainsi que l’impact des arômes artificiels sur la consommation.

Les bonzes de la nicotine ne lésinent pas pour attirer l’attention des jeunes clients sur le snus, que l’on consomme oralement sous forme de poudre ou distribué en petits sachets. Dans un format publicitaire qui rappelle celui des controversés cigarillos, on met bien en valeur les nombreux arômes (cerises, vanille et baies sauvages, etc.) et le boîtier coloré de cet intrigant tabac oral. «Les compagnies n’avoueront jamais qu’elles ciblent les jeunes, mais c’est clair que ça les attire. On essaie de leur faire croire que c’est un produit banal, tandis que la réalité est toute autre», affirme Mario Bujold.

Le snus canadien n’a toutefois pas encore atterri dans les dépanneurs montréalais. Sur les tablettes de tous les points de vente visités, on trouvait cependant les marques de poudre de tabac Skoal et Copenhagen. De l’avis de tous, le tabac sans fumée attire principalement les touristes américains, mais ne semble donc pas rejoindre les Québécois, du moins pour l’instant.

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