Portrait des danseurs du 281
Contrairement à la croyance populaire, les danseurs du 281 ne sont pas tous en manque d’attention ou d’argent. S’ils s’avouent pour la plupart exhibitionnistes sur scène, certains se disent timides dans leur quotidien. D’autres ont des familles qui les attendent chez eux. Les danseurs du 281 se mettent à nu pour le Montréal Campus.
Sur un rythme de salsa endiablé, Diego bouge sensuellement en laissant tomber ses vêtements un à un. Le dieu cubain se déhanche en lançant des regards suggestifs aux femmes en délire qui l’entourent. Les néons rouges qui balaient la salle s’arrêtent soudainement sur le danseur qui, dos au public, est flambant nu. Quelques heures plus tard, Diego embrasse ses filles de trois et six ans, plongées dans les bras de Morphée depuis longtemps. Il se glisse ensuite entre les draps près de son épouse. Elle ne bronche pas.
Diego offre des spectacles érotiques au 281 depuis deux ans. Âgé de 33 ans, le corps sculpté et le teint basané, il incarne parfaitement le fantasme latin de nombreuses clientes. «La réaction des filles me fait souvent rigoler, mais c’est une source d’énergie pour moi. En fait, je ne me perçois pas comme un danseur, mais comme un artiste. Je crée une œuvre d’art avec mon corps et après, je la montre aux autres, on la partage ensemble.»
Tous les vendredis et samedis soirs, Diego quitte le nid familial pour danser sur une scène, au milieu d’une foule qui ne semble jamais en avoir assez, à son plus grand plaisir. «Quand je danse, je suis dans ma bulle. Ma vie est divisée en deux mondes, et le côté normal prend le bord le temps des danses. C’est comme une sortie que je fais le soir, je ne pense pas trop et je m’amuse!»
Célibataires endurcis?
La situation matrimoniale de Diego est assurément celle qui impressionne le plus. Avec ses deux filles en bas âge et une bague autour du doigt, il est loin de représenter la norme au 281. «Cela ne dérange pas ma femme, elle me soutient et m’aide beaucoup. Je suis très à l’aise avec ce que je fais et elle aussi. J’ai des bonnes valeurs, je ne fais rien de mal en dansant. Ce n’est pas comme si je ne me prostituais sur la scène!»
Quant à Jacob, grand blond aux abdominaux d’enfer approchant la trentaine, ôte depuis sept ans son costume de pompier sous les cris de 300 femmes surexcitées. Pour lui, entretenir une relation sérieuse avec une fille relève carrément de la fiction. «C’est un véritable buffet ici, les invitations des filles pleuvent! C’est dur d’aller plus loin que les simples fréquentations dans cet environnement… Chaque soir, au 281, je marche sur la frontière du sexe.»
Dylan, 31 ans, n’est pas du même avis. Les yeux de cet autre danseur hyper-musclé aux tatouages multiples s’allument lorsqu’il parle de sa copine. Ses traits de macho s’adoucissent alors qu’il affirme sans gêne être en amour. «Ma blonde est le centre de mon monde et je lui suis fidèle. Avoir une vraie relation de couple est possible même si je suis danseur nu. Il faut juste savoir placer la barre entre la job et le reste.» Dylan avoue que c’est cependant plus facile à dire qu’à faire. Selon lui, l’ouverture d’esprit est importante dans ce genre de situation. «Ma blonde accepte ce que je fais, toute forme de jalousie est évacuée pour que notre couple tienne la route», explique-t-il.
Victime de nombreux jugements dans son entourage, Diego déplore le manque de compréhension des gens envers les danseurs. «Danser, ce n’est pas ma vie! Comme la majorité des gars du 281, je possède un emploi respectable qui me permet d’entretenir ma famille. Certains possèdent leur propre compagnie d’informatique, moi je travaille dans le domaine hôtelier. Mais un peu de fun et d’argent en plus à la fin du mois n’a jamais fait de mal à personne, n’est-ce pas?»
Une job payante
«On ne se le cachera pas, danser au 281, c’est payant. Je danse pour le plaisir, mais l’aspect monétaire est ma seconde motivation», affirme Diego, qui s’est récemment offert une rutilante BMW familiale de l’année. Les danseurs obtiennent un salaire de base de dix dollars de l’heure. Chaque danse aux tables (dépourvue de tout contact) commandée par les filles coûte dix dollars et ne dure pas plus de cinq minutes. Ces danses ne sont pas comptabilisées par. Le montant que le danseur empoche est considéré comme un pourboire. Diego explique que chaque danseur déclare officiellement le montant qu’il veut. «Personnellement, je n’ai jamais déclaré plus de 100 dollars par soir, mais c’est vraiment rien à côté de ce que je gagne!»
Si tous les danseurs interrogés admettent que l’argent gagné au 281 leur procure un coussin plus que confortable, ils refusent catégoriquement de chiffrer ce montant. Un ancien danseur, qui préfère garder l’anonymat, dévoile toutefois qu’en une bonne soirée, il est facile de sortir du club en empochant entre 500 et 600 $ en argent comptant. «Ceux qui savent utiliser leur charme sont très en demande auprès des femmes. Enlever ses pantalons 50 fois par soir, ça peut devenir très profitable!» s’exclame-t-il.
Diego tient toutefois à apporter un bémol. «Danser, c’est moins payant que cela ne l’a déjà été. Le sexe est beaucoup plus disponible qu’il y a 28 ans, lors de l’ouverture du club. L’été reste la période qui rapporte le plus à cause des touristes qui viennent nous voir par curiosité ou parce qu’elles ont entendu parler de notre concept de spectacles érotiques.»
Annie Delisle, propriétaire du 281 et fille du fondateur du club, reconnaît que tout ce qui est érotique est davantage accessible de nos jours, donc moins impressionnant. «Cela nous pousse toujours à innover, à offrir des spectacles accrocheurs et excitants. On ne peut pas seulement montrer des hommes qui se dénudent, il n’y aurait aucun intérêt.»
Derrière la scène
L’institution du 281 emploie présentement 18 danseurs sélectionnés avec soin par Annie Delisle et son équipe. Si Diego, Jacob et Dylan ont choisi de danser au 281, c’est que ce club leur inspire de la classe et du professionnalisme. Les spectacles sont orchestrées par des chorégraphes professionnels. Lors des périodes de pointe, au printemps et à l’automne, les spectacles sont renouvelés afin de maintenir la variété. «Les danseurs doivent se trouver des personnages, des accessoires, faire de la recherche pour leur musique et proposer des idées. Par la suite, ils travaillent avec les chorégraphes, mais ce sont les danseurs qui mettent le tout sur les rails», explique Annie Delisle.
«Malgré notre réputation, certains mythes concernant le 281 demeurent tenaces. Par exemple, les filles sont convaincues que nous utilisons du Viagra afin de maintenir des érections sur scène, ce qui est ridicule», déplore Dylan. «C’est une activité fatigante, mais on ne prend pas des drogues. On consomme des protéines, des amphétamines, mais rien d’illégal», assure Diego. «Les danseurs sont encadrés par des règles strictes à l’intérieur du club. Des règles auxquelles je tiens pour préserver notre succès et notre image», renchérit Annie Deslile.
«Le 281 n’est pas un lieu de débauche, conclut-elle. C’est un club avec une bonne ambiance, où des filles oublient, le temps d’un soir, que le tout n’est qu’un spectacle.»
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