Pour certaines femmes, travailler avec un équipement conçu pour les hommes provoque de graves problèmes de santé qui apparaissent seulement après plusieurs années de travail. Les victimes peinent à faire reconnaître le lien entre leur travail et leurs maux.
«Il y a vingt ans, les hommes et les femmes avaient des tâches différentes dans la cuisine. Ils ont ensuite unifié les postes, mais sans adapter l’équipement pour les femmes. Avec le temps, les douleurs sont apparues et aujourd’hui, on a toutes mal quelque part», confie une employée de la cuisine de l’hôpital Sainte-Croix, à Drummondville, Céline Pelletier. Depuis 20 ans, elle travaille quotidiennement avec des plateaux trop lourds. Elle souffre maintenant d’inflammation aux épaules et au coude droit.
À l’hôpital Sainte-Croix, cinq des onze employées de cuisine ayant plus de cinq ans d’ancienneté ont déjà été en arrêt de travail et trois le sont depuis plus d’un an, incapables de faire la moindre tâche. «Avant l’unification, les femmes pouvaient travailler jusqu’à 65 ans sans problème, raconte Céline Pelletier. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.» Dix des onze travailleuses souffrent de troubles musculo-squelettiques (TMS) tels l’inflammation des muscles et des tendons, l’arthrose et les maux de dos. «Les TMS peuvent être associés à un traumatisme, mais la plupart du temps, ils sont causés par des lésions répétées au fil des ans aux mêmes tendons, muscles ou nerfs», explique la professeure de sciences biologiques à la retraite Karen Messing.
En 2006, une étude de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) révélait qu’environ 30% des travailleuses du secteur des services médicaux et sociaux sont victimes de lésions professionnelles, comparativement à 15% pour les hommes. Ces blessures se concentrent principalement au niveau des muscles et des tendons. Plus de la moitié des dossiers de maladies professionnelles des travailleuses ont pour origine des TMS.
Selon plusieurs études européennes, les emplois traditionnellement occupés par des femmes sont souvent plus répétitifs et demandent une moins grande autonomie que ceux accomplis majoritairement par des hommes. En général, les travailleurs soulèvent des charges plus lourdes que les femmes, mais à un rythme moins soutenu. Par exemple, une opératrice de machine à coudre consacre 93% de son temps au travail dans une position statique alors qu’un mécanicien n’y dédie que la moitié. Considérant que la femme moyenne est plus petite que 95% des hommes et qu’elle est en mesure de soulever les deux tiers du poids maximal masculin, la répétition d’un même mouvement avec un outil mal adapté est une cause importante de maladies professionnelles tardives.
Contrairement à bien d’autres affections ou syndromes, aucun test précis ne permet de diagnostiquer les TMS. Démontrer hors de tout doute qu’un mouvement ou une posture causent des blessures à long terme n’est pas évident. «Après trois refus de prestations à la CSST, il aurait fallu que je me batte en cour pour prouver le lien entre mon travail et mon épicondylite, relate une employée en arrêt de travail de l’hôpital Sainte-Croix, Isabelle Cormier. La définition du mouvement répétitif causant une maladie est très stricte à la CSST. Pourtant, mon médecin était catégorique: mon travail était la cause de mes douleurs au coude.» Le hic, selon Karen Messing, c’est que l’autodiagnostic du patient et la présence d’une douleur sont souvent les seules preuves de l’existence de la maladie.
En vertu de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail, les employeurs sont tenus de «s’assurer que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur». Au-delà des obligations légales, il existe des avantages à long terme dans l’adaptation d’un milieu de travail. «Plus les employées se blessent et réclament des frais à la CSST, plus l’employeur paie cher ses cotisations, mais il n’est pas imputable pour la douleur, seulement pour les arrêts de travail», explique la professeure en droit social à l’UQAM Catherine Cox.
Malgré tout, Karen Messing a vu peu d’endroits où l’équipement était adapté aux femmes. «Si un patron refuse d’adapter l’équipement, il réduit ses coûts à court terme en contestant les dossiers de maladies profesionnelles, explique-t-elle. Dans le cas de l’hôpital Sainte-Croix, ça semble paradoxal pour un gestionnaire d’hôpital».
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