Amateurs de discours à l’UQAM
Mains moites, estomac noué, voix tremblotante: une simple présentation orale sème la terreur dans le cœur de plus d’un universitaire. À coup d’envolées lyriques et de discours protocolaires, le Club de l’esprit à l’UQAM vous offre le moyen de vous libérer de cette peur irrationnelle.
Jeudi soir, 18h45. Des éclats de voix s’échappent d’un local du troisième étage de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. De l’autre côté de la porte, une vingtaine de personnes discutent en attendant l’ouverture de la réunion du Club de l’esprit. Une certaine aura de mystère émane de cette assemblée éclectique d’étudiants et de professionnel, dont certain sont nouvellement arrivés au Québec. Pourtant, loin des sociétés secrètes se vouant à des cultes diaboliques, les membres de cette filiale montréalaise des Toastmasters se réunissent pour une étonnante démonstration de prouesses oratoires.
«Chers collègues Toastmasters, distingués invités, bonsoir.» C’est à grands coups de maillet et de formules d’usage que s’ouvre la réunion, comme l’exige le protocole. Hérité du fondateur des Toastmasters, l’Américain Ralph Smedley, ces conventions constituent l’essence même du club d’orateurs, qui se réunit à l’UQAM depuis 2005. Tour à tour, les membres prennent la parole devant l’assemblée silencieuse, presque dévote. Pour pimenter le tout, les discours des participants sont ensuite évalués par leurs pairs. L’évaluation est faite en insistant sur les points positifs. «Les critiques que je reçois sont beaucoup moins incisives que celles que je me fais à moi-même. Ça donne confiance», révèle Dominic Laroche, membre des Toastmasters depuis peu. «Quand on parle, on est dans un état second, on ne sait pas trop ce qui se passe. C’est bien d’avoir une opinion extérieure sur notre performance», souligne Seynabou Sene, une étudiante en comptabilité.
Alors que certains membres s’expriment avec une éloquence remarquable, d’autres poussent un soupir de détresse lorsqu’ils sont appelés à prendre la parole. Ils se détendent cependant au fur et à mesure de leur intervention, encouragés par la réceptivité de leur audience. Durant la semaine, ils ont fignolé leurs discours et répété chacune de leurs interventions devant le miroir.
À chaque réunion, les membres choisissent le rôle qu’ils auront à jouer la semaine suivante. Le président, pilier de la soirée, doit faire respecter le décorum et l’ordre du jour, par n’importe quel moyen. Un rôle particulièrement exigeant, selon Seynabou Sene. «Pour faire respecter l’horaire, il faut savoir interrompre les gens avec tact. Ce n’est pas facile.»
L’organisation Toastmasters, créée en 1924, est maintenant présente dans quelque 110 pays. Comme l’explique Simon Gagnon-Adam, le vice-président aux relations publiques du Club de l’esprit, les raisons pour devenir membre varient. «Ça peut être afin de préparer une réunion importante pour le travail, pour apprendre à livrer un discours à leur mariage ou tout simplement pour se délivrer de la peur de parler en public.» Si l’organisation n’accueille présentement que peu d’uqamiens, le vice-président juge que les étudiants sont ceux qui ont le plus à gagner en s’inscrivant au Club de l’esprit. «Quand on est jeune, on a souvent peur de ce que les gens peuvent penser de nous, rappelle Simon Gagnon-Adam. Le club sert à bâtir une confiance en soi qui est utile dans tous les domaines.» Il souligne aussi que les clubs Toastmasters sont des endroits tout désignés pour le réseautage, puisqu’ils réunissent des professionnels de tous les horizons. Les membres ont même l’occasion de voyager, dans le cadre d’un concours international d’art oratoire, qui leur est ouvert chaque année. Cette année, le concours se tenait en Californie. Le titre de «Champion du monde» de prise de parole en public a été décerné au Texan David Henderson.
Desserrer la cravate
Même s’il est régi par un décorum qui peut sembler pompeux, le Club de l’esprit devient parfois le paradis du jeu de mots douteux et de l’autodérision. Dans les discours, calembours et boutades côtoient même les thèmes les plus sérieux. C’est cette facette des Toastmasters qui a séduit Max-Émilien Robichaud, le doyen du groupe. «Les réunions permettent de développer beaucoup de créativité. Je n’avais pas beaucoup d’humour et ça m’a aidé», déclare le septuagénaire qui fait maintenant s’esclaffer toute l’assemblée lors de ses interventions. Le psychothérapeute et conférencier a aussi commencé à fréquenter une filiale anglophone de l’organisation, afin de parfaire sa connaissance de l’anglais. Il caresse même le rêve de pouvoir un jour donner des conférences en espagnol, en assistant aux réunions d’autres clubs Toastmasters.
Pour les membres du Club de l’esprit, une maîtrise limitée de la langue n’est pas nécessairement une barrière. Le journaliste Francisco Belmont était membre d’un club Toastmasters dans son pays d’origine, le Mexique. Lorsqu’il a immigré au Canada, il a naturellement été attiré vers le Club de l’esprit. «Ça m’a beaucoup appris sur la culture et les mœurs des Québécois.» Même si son français est encore fortement teinté des accents hispanophones de son enfance, il réussit à tenir de petits rôles lors des réunions. Cependant, il compte réussir à apprivoiser cette langue, qu’il trouve bien capricieuse. «Moi, j’ai compris. En français, il n’y a qu’une seule règle: c’est l’exception». Et pour avoir compris cette grande vérité, Francisco Belmont mérite bien que les Toastmasters lui lèvent leur verre.
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