Consommation de drogues en période d’examen
Amphétamines, cocaïne et cannabis ne sont pas l’apanage du monde interlope. Des étudiants y ont aussi recours lorsque la pression des études devient trop forte. Une course à la performance qui rend aveugle à la dépendance.
Illustration Marc Larivière
Le visage angélique et délicat, Anne*, étudiante en arts visuels, marque une légère hésitation avant d’entamer sa confession. «Il m’est arrivé d’avoir recours au speed afin de travailler sur un projet toute la nuit, sans perdre de temps à dormir. Disons que c’est un dernier recours lorsque j’ai déjà trop abusé du café et des boissons énergisantes.»
C’est en faisant ses travaux jusqu’aux aurores avec une amie qu’Anne a été initiée pour la première fois à la consommation d’amphétamines en période de création. «Sous l’effet du speed, je n’entre pas dans un délire. Ce sont mes propres idées qui jaillissent, mais plus rapidement. Comme si mon cerveau fonctionnait à plein régime, tout le temps.»
Les adeptes «occasionnels» des drogues de performance inquiètent sérieusement le personnel du Centre d’écoute et de référence situé à l’UQAM. La session dernière, ils ont tâté le pouls de la population étudiante avec un questionnaire. Celui-ci a révélé que plus de 17% de la quarantaine de répondants avaient consommé des stimulants à une ou plusieurs reprises dans le but d’améliorer leur motivation scolaire. «Prendre un stimulant avant d’étudier est attrayant puisque la drogue permet aux élèves de se libérer du stress des évaluations en mettant leur réussite entre les mains d’autre chose tout en leur permettant de conserver une illusion de contrôle», soutient la porte-parole du Centre, Mylène Barlari.
Ainsi, Marco*, diplômé en design graphique, déclare sans ambages que la consommation de drogue l’a ponctuellement aidé à obtenir la dose créative dont il avait besoin pour réaliser ses travaux. «À mes yeux, le pot va de pair avec ma vision artistique. Le speed et l’ecstasy m’ont également permis de parvenir à des résultats impressionnants et à augmenter ma motivation et ma concentration.»
Les étudiants comme Marco qui affirment mieux performer sous l’effet de substances illicites font sourciller Sylvain Fournier, conseiller en dépendances chimiques du centre de désintoxication québécois Narconon. Selon lui, la perturbation engendrée par la drogue peut réduire les capacités de l’usager et nuire à sa concentration. «Il est possible d’avoir l’impression d’être plus créatif sous l’effet d’une substance, mais ce n’est que momentané, explique-t-il. La drogue empêche de se concentrer pleinement sur plusieurs choses à la fois et peut brouiller les idées.»
Le professeur à l’École de service social de l’UQAM Amon Jacob Suissa met également les étudiants en garde contre les effets secondaires liés à la consommation. L’insomnie, les idées dépressives et la culpabilité sont des conséquences avec lesquelles il faut composer lorsque l’on consomme des stimulants. «Le lendemain, les effets secondaires peuvent être très difficiles à supporter. Avec la drogue, on n’obtient rien pour rien», avertit le spécialiste.
Anne en sait quelque chose. L’étudiante a déjà consommé des amphétamines le matin afin de contrer la fatigue et le spleen occasionnés par les stimulants dont elle avait usé pendant la nuit pour travailler ses projets d’art. «En fin de session, les travaux passent vraiment avant le sommeil. C’est sûr qu’après il faut s’accorder du temps pour récupérer, mais les résultats en valent la peine.» Sous l’effet du speed, elle se rappelle notamment avoir réalisé plusieurs versions d’un même projet en un temps record. Toutes plus belles les unes que les autres, elle a peiné à choisir la meilleure.
Malgré toute la pression qu’elle sent sur ses épaules, Anne refuse catégoriquement de blâmer le système d’éducation ou ses professeurs pour le stress engendré par les études. «Mon problème est la gestion de temps. Mon stress provient de ma difficulté à concilier travail, loisirs et études. Lorsque l’école est ma priorité et que je n’accumule pas de travail, je ne ressens pas de stress.»
La mince ligne blanche
La consommation de drogues peut mener à la dépendance lorsqu’elle sert à échapper à des problèmes ou à anesthésier la peur. Certains individus y sont plus vulnérables que d’autres. «Le danger est plus grand pour les étudiants qui sont incapables de performer autrement qu’en faisant l’usage de substances illicites. Le désir de réussir coûte que coûte peut les entraîner dans un engrenage dangereux», prévient le professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal Jean-Sébastien Fallu.
La drogue devient alors une béquille pour réduire le stress qui pourrait perdurer après les études. «Oui, c’est stressant de passer un examen à l’université. Mais la pression est aussi très dure sur le marché du travail et dans la vie personnelle», rappelle Sylvain Fournier.
Qu’à cela ne tienne, Anne et Marco se promettent bien de cesser toute consommation dès la fin de leurs études. Malgré les fréquentes mises en garde de ses professeurs qui connaissent de nombreux artistes aux prises avec des problèmes de dépendance, Anne est convaincue de pouvoir arrêter l’usage occasionnel de drogues dès qu’elle aura son diplôme. «Lorsque je serai sur le marché du travail, c’est sûr que je ne voudrai plus de stimulants dans ma vie. Dans mon cas, ce n’est vraiment pas devenu un automatisme», affirme l’étudiante.
«Dans mon prochain emploi, je serai beaucoup plus sérieux qu’à l’école et je ne compte pas mélanger drogue et création, comme je l’ai fait durant mes études. Il n’y a peut-être que le pot qui va me suivre, occasionnellement. L’essentiel c’est de savoir conserver un équilibre», poursuit sagement Marco.
Malgré la bonne volonté des deux étudiants, Sylvain Fournier demeure dubitatif. «C’est jouer avec le feu de prendre une habitude comme la consommation de drogue en pensant s’en défaire instantanément en quittant les bancs d’école.»
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