Après une année marquée par le mouvement #MoiAussi, des organismes communautaires dénoncent l’absence des enjeux qui touchent les femmes dans les débats politiques actuels.
« Il est temps que les enjeux des femmes soient considérés de façon transversale dans tous les débats et qu’on s’y arrête durablement et non seulement lorsqu’on cherche à acquérir l’électorat féminin », déplore la responsable de l’analyse des enjeux et incidences politiques des Centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), Ana Maria Anney.
Si les préoccupations autour de l’éducation, de l’immigration et de la santé sont au coeur de la campagne électorale actuelle, ces mêmes enjeux abordés d’un point de vue féministe sont trop peu relevés par les partis, selon elle. « Ça vient souligner le fait que, encore aujourd’hui, dans l’imaginaire social, des médias ou des politiques, les femmes sont des citoyennes ordinaires alors qu’on sait très bien que leurs réalités et besoins sont différents », précise-t-elle.
Selon l’Enquête sociale générale (ESG) sur la sécurité des Canadiens de 2014, les femmes ont déclaré un peu plus de 1,2 million d’incidents de victimisation avec violence, ce qui représente 56 % de tous les incidents de violence. Elles représentent aussi 88% des victimes d’agression sexuelle.
« On est d’avis que les femmes, ce n’est pas une thématique. […] C’est la moitié de la population qui est visée par des inégalités qui se perpétuent de façon systémique et chronique », affirme la présidente-directrice générale de l’organisme du Y des femmes de Montréal, Mélanie Thivierge.
Elle considère que certains partis politiques ne se sont pas assez penché sur la question. « Lorsqu’on fait la lecture des plateformes électorales, […] c’est certain que Québec solidaire et le Parti québécois ont des mesures concrètes. Le Parti libéral du Québec a certaines mesures et la Coalition avenir Québec n’en a pratiquement pas », explique-t-elle.
Forcer la discussion
Mme Anney dénonce surtout le manque d’engagement des partis à en parler de façon spontanée. « Les seules fois où ce sera abordé, c’est lorsque des groupes de femmes ou des organismes communautaires vont inviter des candidates pour débattre, mais ça ne vient pas d’emblée de la part des partis », ajoute-t-elle.
Le Y des femmes de Montréal a d’ailleurs pris l’initiative d’organiser un débat sur ces enjeux, le 18 septembre dernier, auquel ont participé Hélène David, représentante pour le Parti libéral du Québec (PLQ), Catherine Fournier pour le Parti québécois (PQ), Eve Torres pour Québec solidaire (QS) et MarieChantal Chassé pour la Coalition avenir Québec (CAQ).
D’entrée de jeu, Mme Thivierge, à la barre du débat, a questionné les quatre représentantes afin de savoir comment leur parti compte appliquer l’Analyse différenciée selon les sexes (ADS +) dans leurs futurs politiques.
L’ADS est un processus d’analyse qui consiste à favoriser l’atteinte de l’égalité entre les hommes et les femmes en l’appliquant aux politiques gouvernementales. Le « + » fait référence aux minorités telles que les femmes autochtones, immigrantes ou handicapées. Le consensus s’est rapidement dessiné entre les différents partis : l’ADS + devrait être appliqué à toutes les nouvelles politiques.
« Il faut prendre en compte la réalité des femmes autochtones et immigrantes qui se trouvent dans une position de vulnérabilité », pense Catherine Fournier, porte-parole du PQ en matière de condition féminine. Elle s’est d’ailleurs engagée concrètement à ce que son parti applique l’ADS + dans chacune de ses nouvelles politiques, s’il est porté au pouvoir le 1er octobre prochain.
Selon l’ESG sur la sécurité des Canadiens, 10% des femmes autochtones déclarent avoir subi de la violence conjugale, comparativement à 3% pour les femmes non autochtones, ce qui est trois fois moins élevé. « L’application de l’ADS + permet de révéler que dans tous ces enjeux de société, il y a des iniquités profondes qui touchent principalement les femmes et les filles », remarque la PDG du Y des femmes de Montréal.
Mme Fournier a aussi relevé rapidement le problème de confiance envers le système judiciaire. « Pour les victimes, le processus pour porter plainte est laborieux et même si elles [le font], le dossier a peu de chances d’aboutir à des condamnations », explique celle qui s’est aussi engagée à créer une Chambre spécifique pour les violences sexuelles et conjugales à la Cour du Québec.
« On ne peut pas juste poser des solutions qui viennent panser des blessures, a appuyé la représentante de QS, Eve Torres. Il faut que les politiques soient prises pour être efficaces sur le long terme. »
L’affaire Weinstein, qui s’est déclenchée deux jours après que Mme David ait été nommée ministre de la Condition féminine en octobre 2017, a engendré le mouvement #MoiAussi, que cette dernière qualifie de « tornade ». « J’ose dire qu’on a drôlement bien travaillé cette question au Québec plus que dans le reste du Canada, aux États-Unis ou en Europe. […] Les femmes ont dit des choses qui ne se sont jamais dit depuis des siècles », a-t-elle mentionné.
Ana Maria Anney, prend tout de même le temps de souligner les efforts du gouvernement actuel en ce qui a trait aux violences sexuelles, après qu’il ait mis en place plusieurs séances de travail qui ont mené à l’élaboration de la stratégie gouvernementale pour prévenir et contrer les violences sexuelles.
Photo : gracieuseté de Y des Femmes
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