Depuis quelques années, une nouvelle génération de comiques issu(e)s de l’immigration transforme le paysage humoristique québécois. Chacun(e) a un parcours d’adaptation unique à la scène d’ici, a pu constater le Montréal Campus en s’entretenant avec deux humoristes issu(e)s d’ailleurs.
Née à Montréal, mais élevée en Haïti, Garihanna Jean-Louis, enseignante à l’École nationale de l’humour (ENH), dit avoir « fait plus d’allers-retours Montréal et Port-au-Prince qu’un colis Amazon avec la mauvaise adresse ».
En 2015, le festival québécois Juste pour rire était en repérage de nouveaux talents à Haïti. Participant au concours, Garihanna Jean-Louis présente un numéro qui impressionne la directrice générale de l’ENH, Louise Richer.
Quelques semaines plus tard, elle offrira à Mme Jean-Louis une bourse complète pour poursuivre son parcours humoristique dans son établissement à Montréal.
« L’humour est culturel »
En 2017, elle devient la première et seule femme noire diplômée de l’ENH. Désormais enseignante audit établissement, elle remet en question le cadre scolaire de l’ENH, qu’elle juge encore « mieux adapté aux hommes blancs ». « Le rire est universel, mais l’humour est culturel », souligne l’humoriste, regrettant d’avoir tenté par le passé de « s’assimiler » au style d’humour québécois.
Encore à ce jour, à titre de comédienne et d’humoriste, elle déplore de devoir se conformer à « l’accent québécois typique » pour être « acceptée » dans des productions à grand budget. En société comme à l’ENH, elle constate que l’inclusion des immigrant(e)s est souvent « superficielle » et que les « structures internes » des organisations culturelles ne permettent pas une « inclusion totale ». « Les gens veulent nous avoir sur leur plateforme quand c’est bon pour eux et leur image », déplore l’humoriste.
Membre du comité de sélection lors des auditions à l’ENH, elle constate 7 inscriptions d’étudiant(e)s issu(e)s de la diversité culturelle sur 150 inscriptions au total à l’hiver dernier. Garihanna Jean-Louis soutient que le manque de représentation au sein du programme peut expliquer pourquoi certain(e)s hésitent à s’y inscrire. « Ce n’était que des hommes », précise l’humoriste à propos des candidat(e)s issu(e)s de la diversité inscrit(e)s l’an dernier.
L’humour autodidacte
Bien que, selon elle, l’école de l’humour demeure une voie prometteuse pour les aspirant(e)s humoristes, Mme Jean-Louis observe une tendance à la hausse de professionnel(le)s qui s’en affranchissent. Qu’il s’agisse d’Oussama Fares, Dolino, Mibenson Sylvain ou Steve Biko, plusieurs humoristes ont choisi de passer directement par la scène, appuyés par les médias sociaux qui les aident à avoir une meilleure visibilité.
Étoile montante de l’humour au Cameroun et finaliste du concours RFI Talents du rire en 2018, M. Biko a quitté son pays natal la même année pour poursuivre des études en graphisme à Rivière-du-Loup, dans le Bas-Saint-Laurent. En 2021, il monte sur scène dans un bar à Montréal pour tenter l’expérience du stand-up au Québec. Cette « deuxième confirmation » marque le début d’une nouvelle ascension au Québec.
« Très peu d’immigrants arrivent dans un nouveau contexte en se disant vouloir faire de l’humour », ajoute Steve Biko. Porté par la confiance de ses succès humoristiques précédents, Steve Biko n’a jamais postulé pour l’ENH. « L’ENH, c’est très cher. J’ai préféré passer par la scène », explique-t-il. Pour assister au cours de création humoristique offert par l’école, les étudiant(e)s canadien(ne)s admis(es) doivent débourser 16 500 $. Ce montant passe à 20 000 $ pour les étudiant(e)s venant de l’étranger.
Selon Garihanna Jean-Louis, nombreux sont les parents issus de l’immigration qui encouragent leurs enfants à choisir des professions « sécurisantes », capables de leur offrir une stabilité « qu’eux-mêmes n’ont pas eu la chance d’avoir ».
Rire, après réfléchir
Étudiant encommunication à l’UQAM, Charles Moisan observe avec passion le milieu de l’humour. Ayant grandi à Montréal avant de déménager à Repentigny, M. Moisan remarque que les visages de la scène humoristique reflètent des origines nettement différentes en fonction du lieu de prestation.
Selon l’étudiant, sa municipalité, habituée surtout à des références culturelles locales, n’est pas un milieu propice aux humoristes issu(e)s de l’immigration. Il aime les numéros d’humoristes de la diversité pour les expériences et les valeurs qu’ils transmettent. « Ce serait plate si tout le monde était pareil », dit-il.
Steve Biko raconte que son humour s’appuie avant tout sur la satire de la société québécoise et le dialogue avec son public. À l’occasion, il aime jouer avec les préjugés liés à son pays d’origine. Il explique que c’est en prenant le contrôle du stéréotype qu’il réussit à le déconstruire. M. Biko dit exercer un travail de « funambule » entre humour et réflexion.
Fier de présenter des spectacles « à des endroits où [il est] probablement le premier Camerounais à avoir mis les pieds », Steve Biko croit bâtir des ponts avec son public.
Code switching
Pour permettre au public québécois d’accéder à son imaginaire, il pratique un « travail de traduction de références », soit du code switching, ou alternance de codes en français. Dans le milieu de l’humour, cette pratique désigne le fait de passer d’une langue, d’un dialecte ou d’un registre de langue à un autre, selon le contexte.
Avant d’estimer « parler la langue de la région », Steve Biko a passé « quelques années » à observer les références d’ici et à les intégrer dans ses numéros sur scène. « Il y a deux parties dans la journée des Québécois : avant et après le café. Avant le café, c’est Gollum. Et après, c’est Bonhomme Carnaval », lance-t-il dans son numéro inspiré de son passage comme employé au Tim Hortons.
« Je ne peux pas me contenter de simplement faire rire ma communauté [les Camerounais] », confie-t-il, expliquant qu’il ressent en spectacle une « responsabilité » de représenter son pays d’origine. Appréciant « l’autodérision » du public québécois, il affirme : « qui rit ensemble continue ensemble ».



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