Partager des vidéos de « journée dans ma vie » sur Instagram pour promouvoir du contenu pornographique peut sembler absurde. Pourtant, près de dix ans depuis l’arrivée d’OnlyFans, la frontière entre influence et travail du sexe se brouille de plus en plus.
Depuis la COVID-19, le réseau social à abonnements OnlyFans est devenu un incontournable pour les créateurs et créatrices de contenu pornographique. C’est justement en2021 que Samuel Poirier, alias frenchcanadianof, a commencé à proposer des photos et vidéos explicites sur cette plateforme en échange d’une cotisation mensuelle.
« Il y avait tellement de personnes qui me demandaient des photos dans mes DMs [messages directs] que [je me suis dit] qu’il y a clairement une demande », affirme-t-il. Samuel, qui est aussi danseur érotique, utilise l’argent provenant de ce site comme source additionnelle et stable de revenus.
Marketing d’influence
L’interface d’OnlyFans n’est cependant pas conçue pour attirer de nouveaux abonné(e)s, d’où la nécessité d’aller les chercher par d’autres moyens, explique le créateur de contenu pornographique consulté par le Montréal Campus.
Les réseaux sociaux, principalement Instagram et TikTok, constituent leurs principaux outils de promotion, selon Rebecca Jennings, chroniqueuse spécialisée en culture web au New York Magazine. Elle précise que cette réalité ne se limite pas au secteur de la pornographie. «Aujourd’hui, une grande partie du travail d’une personne qui crée quoi que ce soit consiste à passer beaucoup de temps à se promouvoir», explique-t-elle.
Puisque la nudité est interdite sur ces applications, ces « sexfluencers » dépendent d’autres types de contenu pour accroître leur visibilité. Pour plusieurs, cela correspond à publier des vidéos style de vie, telles que des «get-ready-with-me » [prépare-toi avec moi]. Un lien vers OnlyFans est partagé dans la biographie, ce qui attire les intéressé(e)s.
Dans le cas de Samuel, c’est à travers TikTok qu’il a réussi à appâter le plus d’abonné(e)s. Il y arrive non pas avec des vidéos sexuellement provocatrices, mais bien grâce à une technique populaire du Web, celle du « ragebait ». Il s’agit de publier du contenu qui incite à la colère, une émotion qui favorise l’engagement sur les réseaux sociaux.
Sur TikTok, Samuel joue le personnage d’un homme qui se plaint des pistes cyclables et des mauvais(e)s automobilistes. Ce type de vidéos lui demande très peu d’énergie et de temps, bien qu’il génère énormément de vues et de commentaires.
Choquer, c’est payant
Samuel n’est pas le seul à utiliser cette technique dans l’industrie de la pornographie. En avril dernier, la vedette porno Hélène Boudreau publiait une vidéo la montrant allaiter un enfant, ce qui avait provoqué une vague d’indignation.
Dans une vidéo explicative diffusée par la suite, elle a avoué l’avoir fait dans une perspective assumée de « ragebait », bien qu’elle ait admis être allée trop loin. Mme Jennings explique ce phénomène par le fait que ces plateformes algorithmiques encouragent le contenu provocateur, destiné à garder l’attention des internautes par tous les moyens nécessaires.
C’est ce qui contribue entre autres au succès des vedettes pornos Bonnie Blue, Lily Phillips ou Annie Knight, connues pour leurs défis sexuels extrêmes, comme avoir des centaines de relations sexuelles en une seule journée.
Parallèlement, ces actrices pornos entretiennent une apparence « girl next door » [fille d’à côté] assez différente de la vision stéréotypée d’une travailleuse du sexe. Selon la chroniqueuse, c’est aussi «le contraste entre l’esthétique de la « fille pure » et le contenu plus hardcore qui vend».
Même s’il est plus difficile aujourd’hui de générer du revenu sur OnlyFans dû aux vedettes qui prennent d’énormes parts de marché, les créateurs et créatrices ne sont pas nécessairement destiné(e)s à produire du contenu de plus en plus extrême pour se démarquer.
« Certaines personnes trouvent simplement un public niche et c’est très rentable », précise Mme Jennings. C’est le cas pour Samuel, qui se présente, en anglais, sur OnlyFans comme « un simple Canadien-Français avec beaucoup de poil sur la poitrine ». Peu importe la façon qu’ont ses membres de se promouvoir, OnlyFans demeure la plateforme la plus populaire pour partager du contenu pornographique.
En 2021, le site avait annoncé vouloir interdire la pornographie avant de reculer sur sa décision quelques jours plus tard. Malgré cela, Mme Jennings croit que le sexe ne partira pas de sitôt de la plateforme. « Je pense qu’ils ont tiré des leçons de leur tentative d’il y a quelques années. Et puis, quel est l’intérêt d’OnlyFans s’il n’y a pas de porno ? »
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