Les universités montréalaises, « complices » du projet de colonisation israélien ?

Plusieurs universités québécoises conservent des liens avec des universités israéliennes, malgré les revendications du mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), a constaté le Montréal Campus en compilant les données fournies par les 18 universités québécoises. Des expert(e)s et des étudiant(e)s voient dans ces liens une « complicité » malsaine.

De toutes les universités du Québec, c’est à Montréal qu’il y a le plus de liens avec des universités israéliennes, a observé le Montréal Campus

Le mouvement BDS existe depuis 2005 mais, au Québec, c’est au printemps 2024 qu’il a marqué les esprits. À Montréal, en plus de multiples manifestations, des campements propalestiniens ont été érigés sur les campus des Université McGill et Université de Québec à Montréal (UQAM). Leur principale revendication ? Le boycottage des universités israéliennes, et ce, pour l’ensemble du réseau universitaire québécois. 

« Lorsque les universités canadiennes financent et collaborent avec les universités israéliennes, elles rendent légitimes leurs actions ; elles sont donc directement complices », estime Maya Wind, chercheuse israélo-juive en anthropologie.

« Un boycottage risquerait d’accentuer la polarisation et de restreindre le dialogue », affirme pour sa part Ruben Hassan, responsable des campus francophones de la Fédération CJA (Combine Jewish Appeal – Appel juif unifié). 

Seul le campement de l’UQAM a été démantelé à la suite d’un accord entre les manifestant(e)s et l’université. « Nous avons poussé le [conseil d’administration (CA) de l’UQAM] à adopter une résolution qui coupe les liens présents et futurs avec les universités israéliennes », explique Safa Chebbi, porte-parole du campement de l’UQAM. En mars 2024, toutes les associations facultaires étudiantes de l’UQAM ont adopté des mandats appuyant la campagne BDS, rappelle celle qui est aussi membre de la branche de l’UQAM de Solidarité pour les droits humains des Palestiniennes et Palestiniens (SDHPP). 

Le campement de McGill a quant à lui été démantelé par une firme de sécurité en juillet à la demande de l’Université, malgré les protestations des manifestant(e)s. « Les étudiants et les campeurs ont été malmenés du camp jusqu’à la rue », affirme Zaina Karim, porte-parole du campement de McGill et membre de la branche de McGill de SDHPP.

McGill

Parmi les 18 universités au Québec, McGill et Concordia sont toutes deux championnes québécoises des liens avec les universités israéliennes.

Il y a 10 universités en Israël. McGill a conclu des ententes dites collaboratives avec quatre d’entre elles, dont l’Université de Tel-Aviv.

McGill n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue. 

La Faculté de droit de l’Université de Tel-Aviv a développé une interprétation du droit international qui défend les opérations militaires et les politiques de colonisation israéliennes, explique Maya Wind dans son livre, Towers of Ivory and Steel : How Israeli Universities Deny Palestinian Freedom.

Ce n’est pas tout. Toutes les facultés de McGill ont des ententes avec l’Université hébraïque de Jérusalem. L’institut d’archéologie de cette université est un pilier des fouilles archéologiques en territoire occupé, selon Maya Wind. Ces fouilles archéologiques rendent compte de la présence historique juive, ce qui rend légitime, aux yeux des autorités israéliennes, la création de colonies en territoire palestinien, explique la chercheuse. 

C’est le cas de la colonie de Susya, où les vestiges d’une synagogue ont été répertoriés par des professeur(e)s de l’Université hébraïque de Jérusalem en 1969. 

Toutefois, toute trouvaille qui ne correspond pas au « récit israélien » – comme les ruines d’une mosquée, par exemple – aurait été ignorée, selon Elly Harrowell, chercheuse britannique au Centre de recherche pour la paix et la sécurité de l’Université de Coventry. 

« L’argument archéologique est utilisé à maintes reprises pour justifier l’occupation des terres palestiniennes par des colons israéliens », témoigne Mme Wind. 

Soulignons que cette dernière est en faveur du mouvement BDS, en particulier d’un boycottage des universités israéliennes. C’est depuis son Israël natal qu’elle a documenté les liens entre les universités israéliennes et le projet de colonisation. Depuis, elle s’est expatriée au Canada, puis aux États-Unis, où elle est chercheuse associée à l’Université de Californie. 

« Il est crucial que les universités israéliennes entretiennent des liens avec le Québec », croit néanmoins Paul Hirschson, consul général d’Israël à Montréal. Il serait « fou » que les universités ne travaillent pas ensemble alors qu’elles ont des projets communs, poursuit-il. Un exemple ? Le Centre Azrieli de recherche sur l’autisme, auquel sont associées McGill et l’Université Ben-Gourion du Néguev.

Concordia

McGill n’est pas seule. Entre 2023 et 2024, l’Université Concordia a aussi renouvelé  toutes ses ententes de recherche et de mobilité étudiante avec quatre universités israéliennes. 

L’une de ces universités, l’Institut de technologie Technion d’Israël, se démarque par sa proximité de l’industrie militaire israélienne, selon Maya Wind. Son département d’aéronautique, en particulier.

« Technion a conçu des cours spécialisés en fonction des besoins militaires israéliens », ajoute Mme Wind. À son avis, l’Institut de technologie Technion serait derrière la création de deux des principales entreprises israéliennes d’armement : Israeli Aerospace Industries et Rafael.

Ora Bar, ex-étudiante de Concordia d’origine israélienne, aujourd’hui de retour en Israël, questionne la pertinence de boycotter les universités israéliennes. « En Chine, il y a des violations des droits de la personne. Pourtant, il y a beaucoup d’échanges étudiants avec ce pays », plaide-t-elle. 

À son avis, il faut s’interroger sur les intentions du mouvement BDS. « Leur but est d’annihiler Israël et enlever les Juifs du pays », affirme-t-elle. Selon elle, le boycottage cherche à « détruire un peuple » en isolant le pays. 

Concordia n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue. 

UQAM

L’UQAM n’a aucune entente avec des universités israéliennes. L’UQAM est la première université québécoise à adopter une résolution, soit une prise de position officielle par rapport à Israël. 

« Les partenariats avec des universités israéliennes ne sont pas à proscrire, pour autant que les partenaires s’engagent pour la paix, [comme le demande la résolution] », précise le recteur de l’UQAM, Stéphane Pallage. 

L’UQAM pourrait donc avoir des ententes avec des universités israéliennes dans le futur. « Le fait que nous n’ayons pas d’entente, c’est un peu le hasard », admet-il.

Lorsqu’il était doyen de l’École des sciences de la gestion (ESG), M. Pallage avait signé une entente avec le Centre interdisciplinaire Herzliya. Renommé Université Reichman depuis, cet établissement est reconnu pour accommoder ses étudiant(e)s actuellement en service militaire et pour leur créditer des cours, selon son site Web.

Il semble que « le partenariat [n’ait] pas donné ce qui était escompté », selon M. Pallage, et c’est ce qui expliquerait le fait que l’entente ait pris fin en 2020. L’UQAM avait aussi une entente de recherche avec l’Université de Tel-Aviv, qui s’est terminée  en 2019.

La position de l’UQAM ne convainc pas complètement la porte-parole du campement de l’UQAM, Safa Chebbi. « Même s’il y a eu des efforts, les balises ne sont pas suffisantes pour garantir de couper les liens à 100 % avec les universités israéliennes », souligne-t-elle avant d’ajouter que « les universités israéliennes sont des complices majeurs et volontaires. Le savoir militaire israélien s’y développe ». 

Pour Antoine Martin, délégué étudiant au CA de l’UQAM, à l’origine de la résolution sur la situation en Palestine et en Israël, l’Université devrait se doter d’une politique concrète pour boycotter les universités israéliennes, plutôt que d’une résolution qui n’est pas contraignante. Il est toutefois difficile d’identifier les critères de ce boycottage et ce qui devrait en justifier la fin, selon lui. 

Université de Montréal 

Il y a à peine deux ans, l’Université de Montréal comptait sept ententes actives avec cinq universités israéliennes. La professeure au Département d’histoire de l’Université de Montréal Dyala Hamzah est à l’origine d’une résolution ayant abouti à la suspension d’une majorité de ces accords. Une seule entente de collaboration persiste aujourd’hui : celle avec l’Université Ben-Gourion. 

« L’Université Ben-Gourion a été fondée en 1969 avec l’objectif explicite de “développer le Néguev” ou, selon l’adage sioniste, de “faire fleurir le désert” », explique Maya Wind. Plusieurs colonies israéliennes se situent dans la région du Néguev, appelée Naqab par les Palestinien(ne)s. 

« L’Université Ben-Gourion joue un rôle central dans la facilitation des politiques d’Israël qui dépossèdent la population palestinienne de la région et lui refuse l’accès à l’éducation », affirme Mme Wind, en prenant exemple sur la multiplication de campus satellites dans la région du Néguev. 

Pour Thawra, étudiante à l’Université de Montréal et cofondatrice du Collectif UdeM Palestine, mobilisé en parallèle au mouvement SDHPP, il est « choquant » que l’Université de Montréal ait une entente avec l’Université Ben-Gourion. « Les fonds des étudiants ne devraient pas servir à financer un génocide », affirme-t-elle par rapport à la guerre entre Israël et le Hamas depuis l’offensive du 7 octobre. Par crainte de représailles, l’étudiante a seulement dévoilé son prénom.

« Un boycottage [des universités israéliennes] risquerait d’accentuer la polarisation et de restreindre le dialogue », affirme M. Hassan, de la Fédération CJA.

Polytechnique Montréal, affiliée à l’Université de Montréal, a aussi une entente de collaboration avec l’Institut de technologie Technion d’Israël, tout comme McGill et Concordia.

L’Université de Montréal n’a pas donné suite à nos demandes d’entrevue. 

Mention illustration : Aurélie Lachapelle

 Les colonies israéliennes sont illégales, selon le droit international

Selon la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction de l’ONU, « la présence continue d’Israël dans le Territoire palestinien occupé est illicite ». Toutefois, l’avis de la CIJ n’est pas contraignant. En d’autres termes, le Conseil de sécurité de l’ONU doit approuver toute sanction économique ou diplomatique. Les États-Unis ont utilisé leur droit de veto à cinq reprises pour bloquer l’adoption de sanctions liées au projet de colonisation israélien. Israël est l’allié des États-Unis.

Le Territoire palestinien occupé comprend la Cisjordanie, sous occupation israélienne depuis 1967, y compris Jérusalem-Est, annexée par Israël, et la bande de Gaza. Bien qu’Israël se soit retiré de Gaza en 2005, depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre, Israël occupe à nouveau le territoire. « Le mouvement de colonisation israélien n’a jamais cessé depuis les accords d’Oslo en 1993 », explique la professeure au Département d’histoire Dyala Hamzah. « Le statut juridique des actions d’Israël fait l’objet de débats et de divergences d’opinions dans la communauté internationale », précise pour sa part Ruben Hassan de la Fédération CJA.

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