Kevin Chen, l’exalté au piano

Joie, triomphe, colère et mélancolie se sont côtoyés le 25 février à la salle Pierre-Mercure. Pour son premier concert à Montréal, le pianiste prodige de 18 ans Kevin Chen a exécuté un programme allant de Beethoven à Liszt, en passant par Mendelssohn et Ravel.

Kevin Chen ouvre la cérémonie avec une interprétation de la Sonate en La majeur, opus 101, composée par Beethoven vers la fin de sa vie, durant la même période que sa fameuse Hammerklavier.

Pastoral et nostalgique, l’Opus 101 représente un défi de taille pour cet interprète encore jeune et vigoureux. Révéler tant de vulnérabilité, en exorde d’une prestation, en voilà une tâche ambitieuse!

Surprise agréable, le prodige originaire de Calgary fait bonne impression. Au second mouvement de l’Opus 101, intitulé Lebhaft, marschmässig (vivant, à la marche), le pianiste est riche en contrastes. Tantôt terrestre et militaire, tantôt rêveur et aérien, il ne perd pour autant jamais sa pulsation. L’effet est enivrant pour l’audience.

Au dernier mouvement, Kevin Chen exécute la fugue — ce passage composé à la manière d’un dialogue entre des voix graves et aigües — avec brio. Malgré la densité du passage, chaque voix est claire et se distingue du reste de la masse sonore. Lorsque les accords joués fortissimo (très fort) font irruption, troublant la chorale, l’interprète n’a pas peur d’être ferme et abrupt. L’auditoire s’est senti désorienté. Beethoven serait fier.

La salle tout entière a retenu son souffle pendant le furieux et effervescent Presto de la Fantaisie opus 28 de Félix Mendelssohn, l’étrange et délirante conclusion de La valse de Maurice Ravel, ou encore le lyrique et solennel Sonnet de Pétrarque nº 123 de Franz Liszt.

Deux mondes musicaux se rencontrent

Le récital de Kevin Chen fait partie de la série de concerts Cartes Blanches de la société Pro Musica. Cette série se donne pour but de « laisser en grande partie le choix du répertoire aux artistes », d’où son nom, explique la directrice artistique de Pro Musica, Irina Krasnyanskaya.

La prestation du 25 février a mis en vedette le thème du piano symphonique. En entrevue avec le Montréal Campus, Mme Krasnyanskaya souligne la dichotomie de cette thématique.

D’une part, la musique symphonique nécessite un nombre important de musicien(ne)s pour être reproduite, souvent dans une grande salle de concert. D’autre part, le piano s’accorde plutôt avec un contexte de musique de chambre, qui se caractérise par « un contact plus direct avec l’audience » et « une ambiance plus intime », souligne Mme Krasnyanskaya.

Kevin Chen est de concert avec l’idée du piano symphonique, comme le montrent les œuvres incluses dans son programme. On pense bien sûr à La valse de Ravel, initialement écrite pour orchestre, ou encore aux Réminiscences de Norma de Liszt, qui s’inspirent des thèmes de l’opéra Norma de Vincenzo Bellini.


Rappelé sur scène par le public, Kevin Chen interprète Frühlingsnacht de Robert Schumann, transcrite pour piano par Franz Liszt.

Quand les climax deviennent réminiscences

En guise de grande finale du spectacle, le jeune concertiste a interprété les Réminiscences de Norma. Une sensation mitigée en ressort malheureusement. Dès les premières mesures, Kevin Chen fait ressortir les textures symphoniques : on croirait entendre des cors et des trompettes introduire la pièce avec assurance. Jusque là, tout va bien.

Le jeune pianiste amorce alors le passage suivant, le Quasi andante (rythme « plutôt modéré »), qu’il joue plutôt dans un mouvement quasi allegro (plutôt rapide). Liszt ne l’a sans doute pas pensé ainsi, mais cela crée un résultat qui change d’autres interprétations. Son exécution de la partie suivante, l’héroïque Allegro deciso, est pleine d’énergie et de bravoure, mais trop percussive et pas assez chantante.

Lors du Più lento (plus lent), Kevin Chen progresse vers le point culminant de la pièce, celui que la salle attendait inéluctablement. Cependant, aussitôt qu’il l’atteint, le pianiste se laisse emporter et accélère le tempo plutôt que de laisser le temps à l’audience d’apprécier l’ardeur de la mélodie et la brillance des arpèges, cascades luisantes et harmonieuses parcourant toute la largeur du clavier. Le pic d’intensité s’est fait ressentir, mais sa courte durée a laissé une pointe de déception.

Nouveau climax près de la fin de la pièce, que Liszt a pris soin d’annoter « le plus passionné possible » sur sa partition. Une fois de plus, Kevin Chen ne parvient pas à saisir la teneur de ce passage. Il se rattrape toutefois sur les dernières mesures des Réminiscences de Norma, qu’il interprète avec le triomphe et l’apothéose qu’elles méritent. 

L’audience ovationne ainsi le concertiste qui salue humblement le public en retour, le sourire aux lèvres.

Un avenir pianistique prometteur?

Ces aspects plus négatifs ne diminuent en rien le mérite du jeune prodige. Certains détails d’interprétation manquent parfois de raffinement et de perfectionnement, certes. En revanche, au niveau plus global, les débuts de Kevin Chen à Montréal s’avèrent solides et satisfaisants.

« J’ai écouté plusieurs [de ses] enregistrements. Ils m’ont frappée par leur maturité, d’un point de vue technique et musical. »

– Irina Krasnyanskaya

Lauréat du Concours international de piano Arthur Rubinstein et du Concours de Genève, Kevin Chen prouve qu’il est déjà un musicien fort estimable, surtout pour son âge.

La musicalité d’un(e) interprète nécessite une vie entière pour se perfectionner. La bonne nouvelle : Kevin Chen dispose encore de plusieurs décennies devant lui pour exploiter ce potentiel.

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