Il y a 30 ans, le gouvernement canadien a mis fin à une campagne systématique de discrimination connue aujourd’hui sous le nom de « purge LGBT ». Des années 1950 jusqu’en 1992, le gouvernement a utilisé des moyens qui allaient à l’encontre de la dignité humaine et du respect de la vie privée pour cibler les membres de la communauté LGBTQ2+.
L’État a discriminé les membres de la communauté LGBTQ2+ au sein des Forces armées canadiennes (FAC), de la Gendarmerie royale du Canada et de la fonction publique fédérale. Cette campagne s’est poursuivie même après le 27 juin 1969, date à laquelle les actes d’homosexualité ont été officiellement décriminalisés au Canada.
En 1981, Martine Roy a rejoint les Forces armées canadiennes alors qu’elle avait 19 ans. Lorsqu’elle était étudiante, elle a été congédiée pour « déviance sexuelle ». Son premier interrogatoire a duré près de cinq heures : des questions invasives abordaient en détail sa vie amoureuse et sa vie privée. Amenée à penser qu’elle serait exemptée si elle témoignait, Mme Roy a fini par admettre avoir entretenu une relation avec une femme. « On m’a appelée au quartier général de l’hôpital et on m’a annoncé qu’ils [la direction] avaient découvert que j’étais sous enquête, témoigne-t-elle. J’ai été congédiée pour homosexualité. On m’a dit que j’avais 9 jours pour quitter les Forces armées. »
Diane Pitre a été victime d’un traitement similaire. Après une longue investigation, elle a été congédiée des FAC le 24 septembre 1980 sous prétexte qu’il n’était pas « avantageux de la garder » et qu’elle était une « menace pour la sécurité du pays ».
Pour sa part, Michelle Douglas a été libérée honorablement de l’armée en 1989, trois ans après avoir intégré les FAC. Selon elle, la purge a été en grande partie « influencée par les États-Unis et leurs efforts pour repérer [au sein du gouvernement et de l’armée] des gens vulnérables qui auraient pu être compromis par les services de renseignements, plus particulièrement les Russes à ce moment. »
Des conséquences lourdes
Ce sont environ 9 000 personnes qui ont été affectées par cette campagne discriminatoire. Parmi elles, plusieurs ont perdu leur emploi et ont été privées d’avantages sociaux, d’indemnités de départ et de pensions. Celles qui ont réussi à garder leur poste ont été privées d’avancement dans leur carrière. Pour certaines, cela a marqué la fin d’un rêve et d’une carrière gratifiante.
La purge a réellement eu un « effet dévastateur et traumatisant sur les gens », affirme Mme Douglas. Elle ajoute que les victimes ont fait l’objet « d’humiliation, de harcèlement, d’agression psychologique ou sexuelle ». D’autres ont été placées dans des institutions où elles ont été soumises « au traitement par électrochoc », clame l’ancienne militaire.
Martine Roy, quant à elle, pense que les effets de la purge ont été particulièrement marquant chez les femmes : « On s’est servi de cette loi-là pour [les] intimider. » Diane Pitre affirme aussi que les accusations étaient souvent basées sur des préjugés et qu’elles manquaient de preuves tangibles : « si elles pratiquaient des sports ou si elles se tenaient avec moi », elles étaient identifiées comme lesbiennes et elles étaient discriminées. « Je crois que dans les Forces, ils n’ont jamais vraiment accepté les femmes, c’était une bonne façon de se débarrasser d’elles », dénonce-t-elle.
Un combat vigoureux
En 1990, Michelle Douglas a entamé un procès contre l’armée. Ce n’est que le 27 octobre 1992 que la cour fédérale du Canada a mis fin à ses politiques discriminatoires. Pour Diane Pitre, cela a représenté une étape significative dans la lutte pour les droits de la communauté LGBTQ2+. « Le courage et la persévérance qu’elle a démontrés m’ont donné le courage de continuer. Michelle m’a donné la force de dire : “C’est correct, t’es capable aussi” », reconnaît-t-elle.
Dans le but d’obtenir justice pour toutes les victimes, des survivants et survivantes de la purge ont intenté un recours collectif contre le gouvernement du Canada en 2016. Mme Roy figure parmi les représentants et représentantes des demandeurs et des demanderesses s’étant opposé(e)s au gouvernement du Canada pour faire entendre leur histoire. Le recours collectif s’est finalement conclu en 2017 par des excuses du premier ministre du Canada, Justin Trudeau, à la Chambre des communes. Ces excuses ont été accompagnées de mesures d’indemnisation totalisant 145 millions de dollars.
Ce qu’il faut retenir de cette période sombre de notre histoire, selon Michelle Douglas, c’est qu’il est important d’« assumer que les droits et les acquis des communautés marginalisées vont toujours demeurer fragiles et vulnérables. »
Les trois femmes rencontrées par le Montréal Campus déplorent le fait que la purge demeure méconnue au Canada. Selon Michelle Douglas, il est primordial que les documents du gouvernement ainsi que les témoignages des victimes soient rendus publics afin d’éviter que ce qui est arrivé soit sous-estimé et que les victimes tombent dans l’oubli.
Mention photo : Camille Dehaene | Montréal Campus
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