« Pour oser s’inventer des chemins de traverse, nous avons tous besoin de référents. Ce sont les modèles qui nous aimantent, nous conduisent à nous affranchir des rôles préétablis ». Ce sont ces mots de la journaliste Nesrine Slaoui, dans son roman Illégitimes, qui résonnent en moi quand je questionne ma place dans le milieu du journalisme et le manque de représentativité dans les médias.
J’ai passé une bonne partie de ma vie à remettre en question ma légitimité dans les domaines qui me plaisaient, mais dans lesquels je n’avais pas de modèles. Se projeter dans un univers qui nous intéresse 一 sans que personne nous ressemblant n’y ait plongé avant nous 一 donne l’impression de rêver de sphères inatteignables.
Souvent, j’ai essayé de rêver doucement, en silence. Comme si le son de ma voix n’était pas assez important comparativement à celui des autres, pour qui la voie est déjà tracée.
Mes parents ont toujours tout mis en œuvre pour que je puisse construire mon avenir dans les meilleures conditions. Ma mère m’a toujours poussée à me battre pour atteindre mes objectifs. « Personne ne te réserve une place bien au chaud. Il faut que tu travailles deux fois plus que les autres pour te créer cette place », me répétait-elle.
Un modèle et tout change
Avant de me lancer en journalisme, j’ai attendu trois ans. Trois longues et pénibles années d’études universitaires d’un cursus qui m’ennuyait à mourir. C’était avant de tomber sur le parcours de la journaliste franco-marocaine Nesrine Slaoui. Dans une vidéo pour le média numérique Brut, publiée en juin 2019, Mme Slaoui parle de son parcours et de la difficulté à s’intégrer dans un domaine où on a l’impression de n’être qu’un murmure au milieu d’une foule.
Au fil du temps, j’ai découvert des journalistes qui ressemblaient à Mme Slaoui et qui l’inspiraient. Par la suite, nous avons discuté sur les réseaux sociaux et je me suis rendue compte de l’importance de la représentation dans cette sphère qui nous fait vibrer. La représentation dans les médias est d’autant plus importante. Ceux-ci s’adressent à la population et se doivent d’être les plus inclusifs possibles. C’est une façon de pouvoir parler au monde entier.
Une légitimité qui traverse les générations
En arrivant à Montréal, en août 2021, j’ai décroché un emploi d’animatrice à La Petite Maison, une maison des jeunes dans le quartier Saint-Michel. Ma mission est de tenir un blogue destiné aux jeunes et d’animer pour eux un atelier de journalisme une fois par semaine. Ce projet d’éducation aux médias me permet d’initier la jeunesse aux différentes facettes du métier, tant en ce qui a trait à l’écriture, à la radio et à la photographie. L’atelier aide les enfants à développer un esprit critique et m’a permis de constater un manque de diversité et de représentation dans les médias.
« Des fois je regarde Radio-Canada avec mes parents et je me rends compte qu’il n’y a que des Blancs » m’a souligné Mahwish, 11 ans. « J’aimerais qu’il y ait plus de couleurs à la télé. J’aime voir des gens comme moi, pas juste des personnes blanches parce que comme ça, je peux m’identifier », m’a raconté Amina, 12 ans.
Le pouvoir de la représentation est fort : les enfants m’ont déjà demandé de projeter mes articles journalistiques au tableau pour les motiver à écrire. Nesrine Slaoui explique parfaitement l’importance de l’identification et à quel point c’est primordial pour s’autoriser à rêver, à être ambitieux et ambitieuses. « C’est en s’identifiant à d’autres, des hommes et des femmes comme nous, partis de rien, que le rêve peut naître et le désir émerger. La représentativité a un impact puissant », a-t-elle mentionné.
Avec des ami(e)s qui pratiquent aussi le journalisme, j’ai eu l’occasion de faire des ateliers radiophoniques et photographiques afin de familiariser les jeunes aux différentes sphères du domaine. Nous avons aussi parlé de vérification des faits, d’information sur les réseaux sociaux ou encore de récits d’opinion.
Un lien fort s’est créé entre les enfants et moi. J’ai réalisé qu’ils et elles s’amélioraient énormément au fil des ateliers, tant en ce qui concerne le développement de l’esprit critique que la qualité du français à l’écrit et à l’oral. « J’aimerais être enseignante quand je serai grande, mais avec l’atelier, je me rends compte qu’on peut tous faire du journalisme. Si je ne deviens pas enseignante, j’aimerais devenir journaliste », m’a confié Zineb, 12 ans.
Construire l’avenir
Je suis immensément reconnaissante d’étudier le journalisme et d’initier ces jeunes au monde des médias. Je veux qu’ils et elles se sentent légitimes dans n’importe quel domaine qu’ils et elles visent. Je veux que ce sentiment de légitimité résonne en eux et en elles comme il a résonné en moi quand j’ai découvert Nesrine Slaoui.
Maintenant, j’aide ces jeunes comme ils m’aident en retour. Ils et elles m’aident à me battre et à construire mon avenir. Je ne le fais plus seulement pour moi, mais aussi pour eux et elles.
Ces enfants forment la future génération qui reprendra les rênes. La mission des journalistes racisé(e)s de ma génération est d’inverser la tendance, de devenir des modèles pour ces jeunes afin qu’ils et elles osent s’inventer des chemins de traverse.
Grâce à cet atelier, les enfants se découvrent une passion pour les médias, aiment s’informer et jouer aux journalistes en herbe avant de se lancer, peut-être un jour, dans une véritable carrière journalistique.
En devenant Vigie de la diversité et de l’inclusion au Montréal Campus, en septembre dernier, j’ai réalisé à quel point les médias se devaient de représenter l’ensemble de la population. Et cela, tant sur le plan des personnes qui parlent que celles dont on parle.
Mention photo Manon Touffet | Montréal Campus
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