Que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur un babillard au détour d’un couloir, de nombreuses annonces d’étudiants et d’étudiantes proposant leurs services de révision de travaux sont visibles. Pourtant, cette pratique pourrait remettre en cause l’intégrité universitaire de ceux et celles qui font appel à leur service.
Audrey-Anne fait régulièrement appel à une étudiante de l’UQAM pour corriger ses travaux. « J’ai quand même une bonne base en français, mais on dirait que c’est une sécurité d’avoir quelqu’un qui repasse par dessus toi, pour être sûre à 100 % qu’il n’y a pas de fautes », déclare l’étudiante à l’Université Laval, qui préfère taire son nom de famille en raison de la controverse entourant cette pratique.
L’étudiante précise toutefois que sa réviseure est l’une de ses amies, ce qui permet une relation de confiance. « Je ne suis pas sûre que j’aurais fait appel à quelqu’un si je n’avais pas vu que mon amie offrait ses services », ajoute-t-elle.
Le cas d’Audrey-Anne n’est pas isolé. Des cours de perfectionnement en français sont offerts dans plusieurs universités, mais plusieurs membres de la communauté étudiante préfèrent avoir recours à ces réviseur(e)s qui œuvrent dans l’ombre. Ces personnes sont souvent d’autres étudiants et étudiantes qui proposent leurs services en échange d’une contrepartie financière.
Des lacunes en français
D’après la professeure au Département de linguistique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) Reine Pinsonneault, la qualité de la langue des étudiants et des étudiantes n’est pas uniforme. « Quand ils arrivent à l’université, ça fait beaucoup d’années sans avoir touché à la langue, à la structure de la langue, au fonctionnement de la langue, alors il y a beaucoup de rattrapage à faire », affirme-t-elle.
La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, avait même affirmé, lors d’une conférence de presse en septembre 2021, que les résultats de l’épreuve uniforme de français à la fin du parcours collégial n’étaient pas à la hauteur. Selon elle, le taux de réussite est de 84 %, et la langue française est la cause de la quasi-totalité des échecs.
Une question de temps
Marie-Pier Lajoie, correctrice et réviseure à son compte, a déjà travaillé pour des étudiants et des étudiantes de l’UQAM. Elle estime que plusieurs personnes font appel à ses services par manque de temps. « Je suis capable de les aider pour qu’elles puissent présenter un travail selon les normes de l’université », indique-t-elle.
Audrey-Anne essaie quant à elle de pallier la pression que les études peuvent lui procurer. « Le français pèse beaucoup dans mon baccalauréat et c’est sûr que c’est toujours très stressant de perdre beaucoup de points dans des travaux, pas juste pour la qualité du contenu, mais pour le français aussi », précise l’étudiante.
Pourtant, les membres de la communauté étudiante de l’UQAM bénéficient de nombreux outils pour rédiger leurs travaux, comme le logiciel de correction grammaticale Antidote. Reine Pinsonneault et Marie-Pier Lajoie s’entendent pour dire qu’un humain demeure plus efficace qu’un programme informatique. Mme Lajoie croit qu’elle se démarque par la qualité de son travail, qui lui permet « d’amener le texte à un niveau supérieur. »
L’intégrité universitaire en jeu
La révision des travaux universitaires soulève des questions sur le plan éthique.
Selon Jenny Desrochers, directrice des relations de presse de l’UQAM, faire appel à des services de révision ne mène à aucune sanction de la part de l’Université. « Une personne qui fait corriger son travail sur le plan grammatical ne sera pas signalée au Règlement no18 [sur les infractions de nature académique], à moins que la correction soit d’une telle ampleur qu’on se retrouve en présence d’un étudiant qui a fait pratiquement faire son projet », concède-t-elle. Elle ajoute qu’une telle situation n’a encore jamais été rapportée à l’UQAM.
Pour Marie-Pier Lajoie, faire appel à un réviseur ou à une réviseure n’est pas de la tricherie. « Il n’y a pas de problème parce que c’est vu comme un outil à la réussite, pour pouvoir atteindre son but », explique-t-elle.
Toutefois, la réviseure ne touche pas qu’à la forme, mais aussi au fond. « J’ai des connaissances dans plusieurs domaines, donc ça peut arriver que je réoriente le travail », admet la réviseure. Elle raconte avoir eu un étudiant particulièrement doué en français, qui n’avait pas de besoin au niveau de la rédaction. « Il voulait que je fasse ses lectures pour ensuite peaufiner ses travaux en apportant un élément nouveau », se souvient-elle.
Mme Pinsonneault est plus nuancée. La professeure ne condamne pas entièrement cette pratique, car cela démontre une volonté de bien faire de la part de l’étudiant ou de l’étudiante. Elle se demande néanmoins jusqu’où va la correction. « On ne peut pas empêcher un étudiant de vouloir présenter un travail de qualité à son professeur par exemple, […] mais il faut se questionner sur ce qu’on reçoit comme travail : est-ce que c’est vraiment le fruit de la personne étudiante ou pas? », soutient-elle.
Un autre paramètre à considérer est la formation de la personne qui offre ses services, indique Mme Pinsonneault. « Quelqu’un qui est correct en français va être capable de voir les erreurs d’accord de verbes par exemple, même de participe passé sûrement, mais quand on arrive à la syntaxe des phrases et à la construction de phrases complexes, c’est là que ça devient un peu plus délicat », précise-t-elle.
De son côté, Audrey-Anne ne désire pas que sa correctrice modifie le contenu. « C’est sûr qu’elle revoit des structures, elle va aussi chercher un peu plus de diversité dans les mots, […] mais je ne m’attends pas à ce qu’elle touche au contenu », assure-t-elle.
Mention photo Cheyenne Ogoyard | Montréal Campus
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