La douance intellectuelle, pas qu’un avantage

Elle est appelée douance intellectuelle, mais aussi surdouance, haut potentiel intellectuel ou encore précocité intellectuelle. La littérature scientifique ー et le commun des mortels ー la classifient comme un atout plutôt qu’un trouble. Il est cependant possible que la douance représente une charge difficile à subir pour les personnes concernées.

Difficile de brosser le portrait type de la personne douée. Comme la valeur d’un quotient intellectuel (QI), l’expression de la douance au quotidien varie grandement d’une personne à l’autre. L’étudiant en gestion d’événements au collégial Eilian Cherel, identifié comme doué intellectuel, en est bien conscient. « Chaque personne douée est unique. Mais mon cerveau, en tout cas, ne s’arrête jamais. Il est en arborescence », lâche-t-il.

La professeure au Département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et coautrice d’un livre sur la douance, Dre Marie-Claude Guay, pointe du doigt une nuance d’entrée de jeu. « La douance intellectuelle n’est pas diagnostiquée comme on le fait avec un trouble, elle est identifiée. C’est vraiment un atout dans une vie », indique-t-elle.

Bien connu, le test de QI accompagne l’identification faite par un ou une psychologue ou neuropsychologue. Le consensus scientifique situe le début de la douance intellectuelle à 130 de QI, soit à deux écarts-types au-dessus de la moyenne.

À ce test quantitatif s’ajoute une évaluation qualitative, essentielle aux yeux de Mme Guay. Des éléments comme la personnalité, la motivation et les capacités adaptatives sont alors pris en compte.

Autrement dit, un ou une jeune qui excelle à l’école n’est pas nécessairement doué(e). Seulement 2 % de la population présenterait une douance.

Pas toujours rose

C’est un profond sentiment de « décalage » avec son entourage qui a d’abord alerté Eilian Cherel ainsi qu’une de ses enseignantes. Différent, le jeune garçon s’intégrait difficilement parmi les élèves de son école primaire, qui le lui faisaient sentir.

S’est ensuivi un cercle vicieux. Moins Eilian se sentait à l’aise entre les murs de l’école, moins il la fréquentait. « J’ai facilement loupé trois mois », se souvient-il. L’identification de sa caractéristique lui a par la suite « permis d’exprimer [son] mal-être » et les sentiments qui l’habitaient, mais qu’il ne comprenait pas.

Mieux vaut mettre de côté le mythe de la personne performante et étincelante de bonheur. La douance intellectuelle peut être accompagnée d’hypersensibilité, de crises existentielles, d’anxiété, de difficultés à accepter l’échec ou d’entretenir des contacts sociaux. Certains individus doués présentent plus d’une de ces caractéristiques.

Ce sont entre autres des difficultés sociales et une détresse psychologique qui ont mené Clémence Cormier-Morasse, coordonnatrice des campagnes de financement à l’Orchestre symphonique de Montréal, sur la voie de la consultation il y a cinq ans. Si bien qu’elle croyait à un trouble du spectre de l’autisme.

« J’ai toujours été très introspective et sensible, révèle la jeune femme. Je me suis rendue à des endroits très dommageables parce que je ne contrôlais pas ma sensibilité. » Bien qu’elle jongle encore avec les écueils que sa douance intellectuelle entraîne, Clémence soutient que son évaluation lui a permis de « comprendre plein de choses sur [sa] vie ». Des bonnes comme des mauvaises.

Des facteurs entremêlés

Le haut potentiel intellectuel de l’étudiante en esthétique Isabelle Roy-Dionne s’exprime de façon similaire à celui de Clémence. Tout comme la créativité et la curiosité, l’excellence académique a toujours fait partie de son quotidien, « on ne se le cachera pas », concède Isabelle. Mais l’étudiante tient surtout à partager la lourdeur qui accompagne souvent ses pensées. « J’essaie de tout comprendre, tout le temps, et je m’en fais énormément pour les autres », souligne-t-elle.

L’empathie peut en effet venir de pair avec la douance intellectuelle. Isabelle est toutefois d’avis que son empathie est parfois trop aiguisée. « C’est une faiblesse. J’aimerais juste être comme les autres et ne pas trop m’en faire », exprime-t-elle.

Marie-Claude Guay détaille deux scénarios qui ont la capacité d’obstruer la route des gens doués. D’une part, plus le QI est élevé, plus les difficultés d’adaptation risquent d’être accrues, comme dans le cas d’Eilian. Les QI des personnes citées ici sont respectivement de 136, 144 et 156, tous les trois bien au-delà de la moyenne.

D’autre part, une personne dont la douance intellectuelle cohabite avec un trouble psychologique se trouve elle aussi dans une situation plus vulnérable. Le trouble, un déficit de l’attention avec hyperactivité par exemple, peut camoufler la douance et vice versa. L’identification est ainsi plus complexe et les ressources, moins accessibles. « Mais la majorité s’adapte facilement », insiste Mme Guay.

Mettre les mots

Ce qui importe plus que tout aux yeux d’Eilian Cherel, c’est la reconnaissance de sa caractéristique. Trouver le terme pour qualifier son cerveau atypique a changé sa vie. « Je m’ouvre plus aux autres, je me fais plus confiance et je me connais mieux, confie-t-il. Certaines personnes au haut potentiel intellectuel se sentent tellement seules qu’elles se suicident. Elles ne veulent pas nécessairement se tuer. Elles veulent tuer ce qui ne va pas en elles. Il faut en prendre conscience. »

Pour Eilian Cherel , le seul fait de témoigner dans le cadre de cet article est significatif, parce qu’un dialogue s’enclenche.

La douance intellectuelle se taille une place de plus en plus importante dans l’espace public, se réjouit à son tour Mme Guay. Une discussion qui véhicule à tort certains mythes, mais qui ouvre également les yeux de plusieurs sur un trait plus délicat qu’un simple talent. « Il y a 20 ans, personne ne parlait de douance, note Marie-Claude Guay. Ce n’est plus le cas maintenant et c’est tant mieux. Mais certains ont besoin d’adaptation et de soutien. »

Illustration de Magali Brosseau

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