Vers des milieux de soins arc-en-ciel

Pour beaucoup de personnes âgées, les résidences privées pour aînés (RPA) et les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) sont synonymes de risque de maltraitance. C’est particulièrement vrai pour les personnes issues de la communauté LGBTQ+, chez qui le vieillissement fait aussi mûrir la crainte de devoir quitter la maison pour un milieu peu inclusif.

« Là, je m’en sors pas pire, mais ça m’inquiète », admet Chloé Viau, 72 ans, transgenre et lesbienne. Celle-ci habite encore dans son propre logement, mais après avoir eu des problèmes de santé au cours des dernières années, elle a entamé une réflexion sur son éventuel déménagement dans un milieu de soins.

Ayant subi une opération chirurgicale d’affirmation de genre, Mme Viau nécessite maintenant un entretien quotidien. Elle sait que le personnel soignant devra être ouvert d’esprit. Elle craint « la discrimination en douce ».

« Ma mère vit dans une RPA, confie d’ailleurs Mme Viau. Je sens qu’il n’y pas d’ouverture quand on me voit arriver là. Je ne suis pas à l’aise. »

La crainte de Mme Viau est généralisée chez les personnes âgées issues de la communauté. Selon l’organisme Egale Canada, 52 % des aîné(e)s LGBTQ+ canadiens et canadiennes craignent de devoir retourner dans le placard après avoir intégré un milieu de soins résidentiel pour éviter d’être confronté(e)s à des comportements discriminatoires.

Un cycle d’invisibilisation

Les milieux de soins préconisent des approches renforçant l’hétéronormativité, défini comme étant un « préjugé culturel et sociétal, souvent inconscient, qui ignore ou a pour effet de sous-représenter la diversité sexuelle en supposant que toutes les personnes sont hétérosexuelles ».

Souvent, le personnel des milieux de soins s’attend à ce que les résidents et les résidentes LGBTQ+ restent discrets et discrètes quant à leur identité, explique Line Chamberland, sociologue et professeure associée au Département de sexologie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

En raison de cette présomption d’hétérosexualité, la sociologue estime que les milieux qui promettent de traiter tout le monde de la même façon ne rendent pas nécessairement service aux personnes LGBTQ+. « Ça ne suffit pas pour rassurer les personnes gaies et lesbiennes. On ne s’intéresse pas assez aux expériences qui les rendent spécifiques », affirme-t-elle.

Un cercle vicieux peut en découler : ces aîné(e)s sont invisibilisé(e)s, aucune mesure n’est donc prise pour les inclure, ce qui les rend encore plus invisibles, souligne Julien Rougerie, intervenant de la Fondation Émergence, un organisme à but non-lucratif qui lutte contre l’homophobie et la transphobie. Il signale même « [qu’il] n’y a pas si longtemps, c’était difficile à croire pour certains qu’il existait des personnes âgées LGBTQ+ ».

Détenir les bons outils

En 2009, la Fondation Émergence a mis sur pied la formation Pour que vieillir soit gai. D’une durée de deux heures, elle est offerte gratuitement au personnel de divers milieux qui souhaitent s’outiller pour devenir plus inclusifs.

L’objectif est de « briser le tabou » lié à la diversité sexuelle.

La formation s’accompagne par du matériel éducatif comme des guides. Une exposition pédagogique est aussi disponible pour être affichée temporairement.

Julien Rougerie rapporte que 1500 personnes ont été formées jusqu’à maintenant, et que les demandes augmentent constamment.

Les Habitations Nouvelles Avenues (HNA) font partie des rares organismes à inviter leurs locataires à participer à la formation. « L’impact est là, c’est là qu’on peut ouvrir la discussion », affirme l’intervenant communautaire Samuel Raymond, qui travaille pour HNA.

Un processus constant

« Un drapeau ne suffit pas pour être inclusif », fait toutefois valoir Mme Chamberland. Si la professeure estime que la sensibilisation reste la première étape vers une plus grande inclusivité, pour elle, la principale lacune des formations de ce genre, c’est qu’elles ne prennent pas en compte le roulement constant des membres du personnel.

La Fondation Émergence souhaite rendre sa formation obligatoire à travers le Québec.

De son côté, Chloé Viau s’implique au sein de plusieurs organismes LGBTQ+ en livrant des témoignages depuis son coming out, en 2016. « Je suis certaine que si jamais j’ai à entrer dans une RPA parce que le besoin se fera sentir, je vais continuer à faire ce que je fais, à l’intérieur du centre même, et dans la communauté en général », semble-t-elle promettre, le sourire aux lèvres.

Une illustration de Malika Alaoui | Montréal Campus

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