La flambée de violence armée dans la ville de Montréal semble incessante, faisant réagir vivement les différents paliers de gouvernements. Zoom sur le milieu des organismes communautaires, qui disent détenir des pistes de solution efficaces pour enrayer ce fléau grandissant.
L’ augmentation des incidents liés aux armes à feu à Montréal est notable depuis les dernières années. Si on en comptait 84 en 2019, ce nombre a bondi à 143 l’année suivante, et à 187 en 2021. Pour contrer cette montée de la violence, la mairesse de Montréal Valérie Plante a proposé, le 29 novembre dernier, de tenir un sommet sur la violence armée en janvier, qui réunirait les gouvernements provincial et fédéral, la police, les groupes communautaires et les écoles. Ce sommet a été reporté en raison de la COVID-19, et aucune date n’a été définie pour l’instant.
La mairesse de Montréal a également proposé d’embaucher 250 policiers au sein du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) d’ici 2023, dont une quarantaine pour des équipes spécialisées dans la lutte contre la violence par armes à feu. Jade Bourdages-Lafleur, professeure à l’École de travail social de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), critique cette approche, à l’instar de plusieurs individus œuvrant dans le milieu communautaire. « Les solutions répressives prises dans l’urgence, [à elles seules], ne mènent à rien et leur impact est de courte durée », juge-t-elle.
Beverley Jacques, cofondateur de la Coalition Pozé, un organisme qui lutte contre la marginalisation des jeunes, remarque qu’une coexistence est nécessaire entre le service de police et les organismes de prévention, pour diminuer les tensions présentes entre les deux instances. « On a plus de policiers dans nos rues, mais quand je [leur] parle, eux-mêmes me disent : “ça serait plus facile si on avait plus d’intervenants” », relate-il.
Résoudre le problème à sa source
« Le grand rôle que les organismes peuvent jouer, c’est de développer un lien de confiance avec les jeunes à risque de violence ou de délinquance, et de le maintenir au fil des années », explique Johanne Daigle, directrice du programme en sécurité urbaine Prévention Pointe-de-l’Île. Pour ce faire, son organisme, tout comme la Coalition Pozé, propose de nombreuses mesures, telles que du mentorat, des loisirs éducatifs, des formations, des programmes de travail-étude, et bien d’autres.
On ne vise jamais à guérir, mais simplement à faire en sorte que les jeunes passent une meilleure journée, une meilleure semaine, un meilleur mois, une meilleure année. » – Johanne Daigle, directrice de Prévention Pointe-de-l’Île
Ces gestes qui font la différence
Johanne Daigle reconnaît l’impact positif des organismes communautaires. « Par exemple, un travailleur de rue [de Prévention Pointe-de-l’Île] a aidé un jeune qui avait un gros problème de poids et qui se valorisait beaucoup dans la violence », se souvient-elle. En l’accompagnant dans certaines habiletés sociales, en faisant du sport avec lui et en lui apportant la motivation nécessaire, les travailleurs et les travailleuses de rue de l’organisme ont permis à ce jeune d’améliorer considérablement sa qualité de vie, et de trouver d’autres alternatives à la violence.
« Il faut développer des corridors d’opportunités où les jeunes vont trouver plusieurs portes d’entrées ou de sorties qui vont leur permettre de croire qu’ils ont leur place dans la communauté », mentionne Beverly Jacques.
Les limites du travail communautaire
« On met beaucoup en opposition la police et les services communautaires, mais ce que la littérature scientifique montre, c’est que de combiner les deux fonctionne bien », note Étienne Blais, professeur en criminologie à l’Université de Montréal. Il constate que le travail communautaire, à lui seul, ne peut parvenir à enrayer un problème aussi complexe.
Étienne Blais propose de « mettre en place des peines plus sévères, des contrôles policiers plus fréquents, de modifier les lois [et de] retirer les armes à feu de la circulation », pour combiner différentes mesures et en tirer une efficacité décuplée.
« On peut aussi bâtir des environnements qui sont plus propices à la surveillance naturelle », explique-t-il, insistant sur cette dernière proposition d’aménagement urbain, pensée pour prévenir la violence armée. Cela se fait notamment par des caméras de surveillance dans les parcs, et en ajoutant de l’éclairage dans divers quartiers pour limiter les lieux sombres propices au crime.
Jade Bourdages-Lafleur résume que, pour être correctement outillées pour faire face à la hausse de la violence armée à Montréal, les forces politiques se doivent de consulter à la fois les organismes, les praticiens et praticiennes sur le terrain, la jeunesse et les chercheurs et chercheuses.
Des ressources insuffisantes
La conclusion est la même partout : les organismes ne disposent pas de suffisamment de ressources pour agir au maximum de leur potentiel. « Présentement, à peu près tous les travailleurs doivent choisir les activités qu’ils vont faire ou qu’ils ne vont pas faire, les personnes qu’ils vont voir ou qu’ils ne vont pas voir », déplore Johanne Daigle.
De plus, les organismes communautaires sont forcés de justifier leurs besoins de financement selon des critères prédéterminés par la sécurité publique, allant du quartier où l’intervention aura lieu au groupe d’âge qui sera touché par les actions, ce qui limite leur champ d’activité.
Ces spécialistes au grand cœur s’inquiètent tous de voir la société québécoise délaisser une partie vulnérable de sa population. « Il ne faut pas se laisser convaincre de devoir se méfier les uns des autres au lieu de se rencontrer », conclut Jade Bourdages-Lafleur.
Illustration Augustin de Baudinière | Montréal Campus
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