Les films interactifs ont pour particularité d’inclure les spectateurs et les spectatrices dans le déroulement de l’histoire, mais la forme qui pousse l’auditoire à sporadiquement choisir entre l’option A et l’option B n’est pas la plus envoûtante.
Dans le film interactif Sérotonine Anonyme, réalisé par Caroline Robert et présenté par le studio AATOAA, situé à Montréal, fait vivre une expérience apaisante aux participants et aux participantes.
À l’aide de sa souris, le spectateur ou la spectatrice effectue un « massage de cerveau » à une jeune fille souffrant d’anxiété. La durée de l’histoire est variable : le public peut choisir la version de 5 minutes ou celle de 19 minutes.
Tout dépendant du mouvement de la souris sur l’écran, l’image projetée bouge, se modifie ou se tord. « Je voulais donner envie aux gens de jouer avec l’animation comme si c’était une matière vivante », explique Caroline Robert. Si plusieurs personnes participent à l’œuvre simultanément, les mêmes images sont influencées par ces participant(e)s. « J’avais envie de créer un espace où on sent une proximité avec un groupe, un sens de la communauté », ajoute-t-elle.
Le studio AATOAA a été fondé en 2007 par Vincent Morisset, diplômé de la première cohorte du baccalauréat en médias interactifs, en 1999 (multimédias à l’époque), à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Ayant réalisé plusieurs films qui s’inscrivent dans la même lignée de Sérotonine Anonyme, Vincent Morisset a également produit l’un des premiers vidéoclips interactifs, en 2007, pour la chanson Neon Bible du groupe montréalais Arcade Fire.
Si le studio AATOAA est un précurseur, il ne fait pas cavalier seul. « Le Québec est un terreau vraiment fertile pour les films interactifs. Plein de studios font des projets actuellement », affirme-t-il. C’est le cas entre autres de la boîte interactive et Hub Studio.
Entre film et jeu vidéo
Toutefois, les films interactifs conçus par Vincent Morisset et Caroline Robert sont difficiles à catégoriser. « Certains de mes projets sont qualifiés de jeux vidéo. La ligne est très fine entre un film interactif et un jeu vidéo », confirme le réalisateur.
D’après le professeur au baccalauréat en médias interactifs à l’UQAM Jean-François Renaud, la différence se trouve dans la prévisibilité. Alors que les gens savent à quoi s’attendre en jouant à un jeu vidéo, les œuvres conçues par Vincent Morisset et Caroline Robert laissent place à une ouverture. « Lorsqu’on participe à un film interactif, on est souvent placé en situation où il faut découvrir ce qu’il faut faire au fur et à mesure, un peu à l’aveuglette », précise M. Renaud.
D’autres horizons interactifs
Certains films ou épisodes de séries requièrent une participation limitée de l’auditoire, qui a des choix à faire à des moments clés de l’histoire. Par exemple, l’épisode Bandersnatch de la série télévisée Black Mirror permet au public de prendre des décisions à la place du personnage principal pendant son déroulement.
D’après Jean-François Renaud, cette forme est primitive : « Les formes engageantes de films interactifs, ce ne sont pas les formes option A option B ». Selon lui, les films comme Sérotonine Anonyme sont plus stimulants. « Les œuvres, du moment qu’elles deviennent le miroir de la personne qui la consulte, ça devient beaucoup plus engageant », souligne-t-il.
Cependant, la forme « option A, option B » demeure préconisée pour recréer de vieilles œuvres en version interactive. Par exemple, la série Spirit : Au galop en toute liberté est une adaptation pour enfants du film Spirit, l’étalon des plaines et propose un épisode interactif de 22 minutes.
Il est plus difficile de reproduire une vieille œuvre sous forme d’un film interactif engageant, tel que ceux décrits par M. Renaud. Par contre, d’après ce dernier, il est possible de recréer l’atmosphère d’un film d’époque dans ce type d’oeuvre, à l’aide de « procédés simulant la cadence irrégulière, le traitement noir et blanc, et le grain, qui caractérisent l’esthétique du cinéma des premiers temps ».
Un genre en ascension
Les films interactifs engageants tels que décrits par Jean-François Renaud ont un bon potentiel de croissance. « C’est encore niché, mais les jeunes de la génération Z sont nés après l’arrivée de technologies dont l’interactivité fait partie. Ça devrait s’intégrer dans une optique plus mainstream », avance Vincent Morisset.
Selon Caroline Robert, l’obstacle numéro un au développement des films interactifs est le financement. « C’est le nerf de la guerre. En ce moment, il y a juste l’ONF (Office national du film du Canada) qui finance ces projets. Ce n’est pas évident de bâtir une communauté », explique-t-elle.
M. Renaud pense que, bien que le potentiel de croissance est bien réel, il y a une barrière : « l’interactivité ça oblige l’auditoire d’être persistant ou plus curieux que la moyenne […], ça demande un certain effort et on n’a pas toujours le goût d’être dans ce mode la ». C’est pourquoi le studio AATOAA tente de prendre les spectateurs et les spectatrices par la main pendant leurs œuvres. « On accompagne toujours le spectateur en début de parcours, on le flatte dans le sens du poil, pour ne pas le brusquer », ajoute-t-il.
Le fondateur du studio AATOAA la rapide évolution de l’industrie des films interactifs. « Ce qu’on définit de film interactif en 2021, ça ne sera peut-être plus interactif dans cinq ans. Le principe d’interactivité et de réactivité évolue », conclut Vincent Morisset.
Mention photo Manon Touffet | Montréal Campus
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