Star Académie : une diversité rapidement éliminée

Le grand retour de Star Académie sur les ondes de TVA s’est déroulé sous le signe de la diversité culturelle et corporelle. Or, le public, appelé à voter chaque semaine pour sauver un candidat ou une candidate de l’élimination, ne s’est prononcé qu’une seule fois en onze semaines en faveur d’un candidat ou d’une candidate issu(e) de la diversité. Pourquoi? Un public québécois pure laine et concentré dans les régions serait une piste d’explication, selon des spécialistes. 

La distribution de Star Académie cette année est assurément l’une des plus diversifiées de l’histoire de la téléréalité québécoise. Elle a réuni des candidats et des candidates d’origine iranienne, arménienne et haïtienne, entre autres. Il apparaît pourtant que sur les six demi-finalistes de l’émission phare de TVA, une seule candidate, Queenie, était issue de la diversité. Et la finale, qui opposera Lunou Zucchini à William Cloutier le dimanche 2 mai, sera entièrement composée de personnes blanches.

Le producteur exécutif de l’émission, Jean-Philippe Dion, se dit fier de la cohorte 2021 de Star Académie. « Nous avons choisi les meilleurs artistes possibles. En aucun cas nos décisions ont été prises pour choisir de la diversité », souligne-t-il au Montréal Campus. Il concède que cette cohorte diversifiée a pu déstabiliser plusieurs téléspectateurs et téléspectatrices. « Je pense que pour les jeunes, la diversité est totalement naturelle. Mais je pense qu’il y a une éducation à faire chez le public québécois. Peut-être que pour certaines personnes du public plus âgé, la présence de la diversité peut être déstabilisante », nuance-t-il.

Une diversité qui se volatilise

Sur les ondes du 98,5 le 14 avril dernier, l’humoriste Mariana Mazza s’est dite déçue du dénouement de la populaire émission. « Star Académie n’a jamais eu autant de visages ethniques […], mais pourtant y’en a presque plus […]. Encore une fois, on se dirige vers une finale totalement blanche. Pis je ne pense pas que ce soit à cause de leur couleur qu’ils ne se rendent pas en finale, mais je pense que dans notre inconscient on retourne dans notre confort, on veut des gens de région, on veut des gens de chez nous », a-t-elle soutenu.

Une opinion que partage le directeur de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal et spécialiste de la télévision, Pierre Barrette. « Quand c’est la production qui choisit des candidats et des candidates, il y a de la diversité. Mais quand la décision revient au véritable public de TVA, la diversité disparaît au profit d’une vision beaucoup plus pure laine du Québec », affirme-t-il. Le slogan du réseau est d’ailleurs « TVA, on se reconnaît ». Pierre Barrette rappelle également le public cible de l’émission. « Ce type d’émissions joue sur l’idée que la diversité est bonne en soi, mais elle s’adresse à un public qui est très traditionnel, vieillissant et concentré dans les régions », souligne-t-il.

Pour sa part, Jean-Philippe Dion ne croit pas que le vote du public soit influencé par la couleur de la peau des candidats et candidates. « Je crois plutôt que le vote du public dépend de plusieurs facteurs, comme la chanson choisie ou la personnalité des candidat(e)s, et ceux et celles qui proviennent des régions bénéficient d’une forte mobilisation de la part de leur communauté », estime-t-il. Les relations de presse de Star Académie ont décliné les demandes d’entrevue du Montréal Campus avec un candidat ou une candidate délogé(e) issu(e) de la diversité.

Surtout du blanc dans nos écrans 

Vanessa Destiné est journaliste et chroniqueuse télé, en plus d’être connue pour sa défense de l’antiracisme et du féminisme intersectionnel. Elle n’adhère pas à la thèse de la couleur de peau pour justifier le vote du public à Star Académie. « Au cours de ma carrière, j’ai observé que les personnes blanches sont toujours prêtes à découvrir de nouveaux visages », affirme-t-elle.Elle observe néanmoins un désintérêt de certaines communautés envers la télévision québécoise. « Moi, je n’écoute presque plus du tout la télévision québécoise à cause du manque de diversité. Et j’ai remarqué que plusieurs autres personnes noires boudent Star Académie pour les mêmes raisons », relève-t-elle. « Pour ce qui est de la diversité à l’écran, on est en retard par rapport aux États-Unis et au reste du Canada, c’est sûr », croit-elle.

Vanessa Destiné ne croit pas que Star Académie soit un échantillon probant pour évaluer la discrimination à la télévision. « Je veux dire, il y a la fille de Luce Dufault en finale », rappelle-t-elle. « Le public aime voter pour des gens déjà connus, comme des enfants de vedettes. C’est toute l’émission qui est biaisée, ce n’est pas un bon échantillon », affirme-t-elle en riant. En effet, la finale opposera la fille de la populaire chanteuse à William Cloutier, lui aussi déjà connu du public grâce à ses participations aux émissions Mixmania 3 et à La Cour des grands lorsqu’il était enfant.

 Garder espoir

 Vanessa Destiné rappelle qu’il est possible pour des personnes issues de la diversité de gagner une émission de chant grand public. Elle mentionne Yama Laurent, qui a triomphé à la sixième édition de La Voix en 2018. Pierre Barrette abonde dans le même sens. Il ne croit pas que les jeunes issus de la diversité qui rêvent de participer à ces émissions devraient se décourager. Il s’agit simplement de prendre conscience de la réalité québécoise : « Le vote du public à Star Académie ne devrait pas leur faire croire que le Québec est raciste, mais qu’il existe un certain Québec profond, et je ne dis pas ça péjorativement, mais ce Québec profond n’est pas confronté au quotidien à la diversité qu’on voit à Montréal. »

Mention illustration Édouard Desroches | Montréal Campus

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